- n°1 Justifier l’enseignement de la littérature
- n°2 La circulation des savoirs: entre recherches et pratiques enseignantes
- n°3 Formes de la circulation entre recherches didactiques et pratiques enseignantes de la littérature
- n°4 Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature
- n° 5 "Le Long voyage de Léna" : regards croisés sur une bande dessinée
- n°6 Les outils narratologiques pour l'enseignement du français : bilan et perspectives
- n° 7 Le texte littéraire à l'épreuve de l'image
- Sylviane Ahr - Entretien : "disputes" et justifications de l'enseignement de la littérature
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Manuels de lecture genevois au début du XXe siècle
Manuels de lecture genevois au début du XXe siècle
Manuels de lecture genevois au début du XXe siècle:
ou comment l’école œuvre à la fabrication
d’une culture suisse romande commune.
Ce bref texte montre à travers l’analyse de trois manuels scolaires suisses romands des XIXe et XXe siècles le lien étroit qui unit finalités conférées à l’enseignement de la littérature et politiques éducatives.
L’enseignement de la littérature est bien souvent au cœur des débats lorsqu’il s’agit de réformer l’école. Les finalités qu’on lui confère sont en effet étroitement liées aux «éthiques éducatives» que l’institution scolaire cherche à promouvoir et valoriser (David 2017). Ainsi, dans une perspective historique et didactique, il parait intéressant de se pencher sur les manuels scolaires parce qu’ils sont autant de traces qui témoignent des finalités conférées au fil du temps à l’enseignement de la littérature et plus largement à l’école. Nous proposons dans ce court texte de mettre en évidence ce lien entre politiques éducatives et enseignement de la littérature en analysant trois manuels utilisés à Genève dans les écoles secondaires entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle.
Le premier manuel suisse romand qui nous intéresse parait en 1871, soit une année avant l’adoption de la loi sur l’instruction publique instituant l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans. Intitulé Livre de lecture à l’usage de la Suisse romande, ce manuel est destiné aux élèves de la fin du primaire et du début du secondaire inférieur. À cette époque, le secondaire est constitué d’un grand nombre de filières organisées en fonction du genre des élèves et de leur appartenance sociale (Farquet 1994). Dans leur préface, Dussaud et Gavard, concepteurs de ce livre de lecture, affirment que l’ouvrage s’adresse spécifiquement «au peuple hétérogène» de Suisse romande. Or ce détail n’est pas sans importance. En effet, ce manuel parait une vingtaine d’années après la guerre civile du Sonderbund qui opposa cantons catholiques et protestants. Ce conflit, qui aurait pu mal tourner, débouche finalement sur la première constitution Suisse (1848) et la création d’un état fédéral 1. Les concepteurs du manuel entendent unifier, autant que faire se peut, le peuple romand alors divisé par leurs confessions religieuses, mais également par l’usage de patois différents. Cette unification est rendue possible grâce à l’apprentissage d’une langue et d’une culture communes. Les textes littéraires présents dans cet ouvrage apparaissent comme un réservoir de récits exemplaires et comme l’occasion de mettre en avant la beauté de la langue française au moyen d’œuvres d’auteurs suisses romands et français (Ronveaux & Gabathuler 2017).
Durant cette même période, une réédition (1876) du premier tome de la Chrestomathie de Vinet, dirigée par Eugène Rambert, écrivain, éditeur et critique littéraire romand est utilisée à la fin du secondaire inférieur. Dans cette nouvelle édition, Rambert modifie quelque peu le corpus établi par Vinet. Dans sa préface, il met l’accent sur la dimension «utile» des morceaux en vers ou en prose en ce qu’ils mettent en avant, d’après lui, ce qui est «bon» et «vrai», c’est-à-dire des idées morales et chrétiennes. Rambert préconise également une certaine distance temporelle entre les auteurs proposés et les lecteurs. Il s’agit ainsi de faciliter l’accès «aux histoires d’un Philoctète ou d’un Aristonoüs» car l’Antiquité resterait, selon lui, «la grande école du gout, et celle qui nous enseigne encore, après 20 siècles, la simplicité et le naturel» (p. 4). Rambert ajoute également quelques auteurs romands au corpus:
Nous avons aussi fait place à quelques rares morceaux empruntés à notre littérature nationale. Notre jeunesse, nous le savons, a plus besoin qu’aucune autre d’être mise en présence des vrais modèles français. Toutefois, il nous a paru qu’il y aurait excès de purisme et injustice envers nous-même à écarter systématiquement les pages les mieux inspirées d’un de Saussure, par exemple, d’un Töpffer, d’un Juste Olivier, ou d’un Vinet lui-même. (Rambert 1876: 5)
L’approche de la littérature de Rambert est sensiblement différente de celle défendue par Dussaud et Gavard. En effet, on décèle dans l’extrait ci-dessus une vision plutôt circonspecte des productions littéraires romandes, une forme de défiance vis-à-vis des usages linguistiques régionaux. La norme et le «bon usage» sont fixés par Paris et les productions françaises paraissent être encore, pour ce niveau de la scolarité (à savoir la fin du secondaire inférieur), le meilleur modèle possible. Rambert perpétue ici la position de Vinet (1829) qui encourageait ses contemporains à purifier leur langue au contact des écrivains français du XVIIe. Cette position se retrouve également chez un Rossel, qui, dans son Histoire littéraire de la suisse romande (1889), exhorte ses compatriotes en ces termes:
Prenez (…) des cours de langue et des leçons à Paris, plutôt qu’à Genève ou à Neuchâtel. A Dieu ne plaise que nous devenions aussi peu romands et aussi parisiens que possible! Soyons d’excellents suisses, mais fanatiques du meilleur français! N’ayons pas le culte exclusif de nos petites originalités! (Rossel 1889/1903: 12 dans Meizoz 1996)
Durant la première moitié du XXe siècle, le secondaire genevois inférieur est soumis à de fortes tensions, provoquées notamment par la volonté affichée de certains partis libéraux de créer une école secondaire unique, garantissant une scolarité secondaire obligatoire pour tous les élèves, quels que soient leur provenance sociale, leur genre ou leur niveau scolaire. Ce mouvement, après deux tentatives infructueuses en 1927 et en 1946, aboutit en 1962 à la création du cycle d’orientation genevois. C’est dans ce contexte tendu qu’en 1908 une nouvelle anthologie romande voit le jour. Celle-ci est réalisée par Dupraz et Bonjour et approuvée par le département de l’instruction publique genevois. Cette anthologie, qui connaitra un immense succès et sera rééditée à de nombreuses reprises (1911, 1917, 1923, 1939), s’inscrit dans la volonté d’unification du secondaire inférieur. Le processus de démocratisation qui débute à la charnière du XIXe et du XXe siècles à Genève et qui s’illustre par la volonté de créer une école moyenne unique, obligatoire, à fin d’orientation, a pour effet la réduction du fossé qui avait pu auparavant séparer primaire et secondaire, a fortiori dans les filières plus professionnelles.
Dans les préfaces des différentes éditions, Dupraz et Bonjour se positionnent contre l’approche classique des manuels de lecture telle que celle préconisée par Rambert. En effet, ils mettent en avant la nécessité de se démarquer des ouvrages «parisiens» qui en «dehors de très grands noms (Rousseau ou Töpffer) ignorent tout de la culture suisse romande». Ainsi à côté «du fond commun de toutes les anthologies» se trouvent des auteurs suisses d’expression française, « des pages dignes d’être recueillies et données en exemple » (Dupraz & Bonjour: 5). Par ailleurs, Dupraz et Bonjour soulignent, contrairement à Rambert, la nécessité d’intégrer largement des auteurs « vivants » (Dupraz & Bonjour: 5). Cette anthologie semble ainsi participer à la fabrication d’une culture commune grâce à la littérature. Les auteurs classiques comme La Fontaine légitiment, par le simple fait de leur présence, toute une série d’auteurs romands contemporains (Ronveaux & Gabathuler 2017). On passe donc d’une conception de l’enseignement de la littérature qui vise l’acquisition de la langue et de l’expression, voire d’une éthique chrétienne, à une visée plus culturelle, la création d’une communauté romande.
L’école telle que voulue par les politiques au tournant du XXe siècle à Genève et en Suisse romande doit jouer ainsi deux rôles fondamentaux. Premièrement, elle a pour mission d’unifier les peuples romands autour d’une culture et d’une langue communes. Deuxièmement, elle doit réduire le fossé entre primaire et secondaire inférieur, fossé générateur de discriminations tant sociales que de genre. L’enseignement de la littérature, tel que nous pouvons le reconstruire à partir des manuels de lecture, c’est-à-dire à travers les choix de corpus et les préfaces des concepteurs, se voit attribuer un rôle non négligeable dans cette entreprise de démocratisation et de renforcement du sentiment d’appartenance romande. Les trois manuels que nous avons brièvement présentés rendent compte de trois moments distincts. Le Dussaud et Gavard (1871) a pour objectif de rassembler des cantons et des classes sociales diverses, de les unifier au moyen d’une langue et d’une culture commune, au moment même où l’école primaire devient obligatoire. La réédition du Vinet par Rambert (1976) s’inscrit dans la continuité des manuels du XIXe siècle. Le concepteur y revendique le primat de la langue et de l’expression française, ainsi que celui d’une certaine éthique chrétienne, sur l’expression locale d’une spécificité culturelle. Ce manuel, destiné aux élèves de la fin du secondaire inférieur, reconduit au seuil du secondaire supérieur, l’écart qui prévalait jusqu’alors entre primaire et secondaire. Enfin, le Dupraz et Bonjour (1908) privilégie les spécificités culturelles romandes par rapport à la culture française et entend réduire la distance entre les élèves du secondaire inférieur et les œuvres littéraires. En d’autres termes, l’objectif ici est de permettre à tous les élèves d’accéder à une certaine culture littéraire romande.
La préface
La table des matières
Bibliographie
David, Jérôme (2017), «Enseigner la littérature: une approche par les participations», Transpositio, n°1.
Farquet, Raphaël (1994), Le tremplin et l’obstacle I et II, Genève, Département de l’instruction publique.
Meizoz, Jérôme (1996), «Le droit de mal écrire», Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 11-112, p. 92-109.
Ronveaux, Christophe & Chloé Gabathuler (2017), «Les fables à l’école d’un siècle en Suisse romande. Une comparaison des manuels du primaire et du secondaire», in M.-F. Bishop, L. Louichon & C. Ronveaux (dir.), Les fables à l’école. Un genre patrimonial européen?, Bern, Peter Lang, p. 75-94.
Pour citer l'article
Chloé Gabathuler, "Manuels de lecture genevois au début du XXe siècle ", Transpositio, Archives, 2017http://www.transpositio.org/articles/view/manuels-de-lecture-genevois-au-debut-du-xxe-siecle
La narratologie dans l’enseignement du français en Belgique, en France, au Québec et en Suisse romande
Ce texte est basé sur la transcription, révisée par les auteur·ices, d’une table ronde qui s’est tenue le 7 mars 2025 à la HEP du canton de Vaud en Suisse romande dans le cadre du colloque international «Pour une théorie du récit impliquée», financé par le fonds national suisse de la recherche scientifique (projet n° 197612). Ce colloque marquait la dernière étape du projet «Pour une théorie du récit au service de l’enseignement» porté par l’équipe DiNarr. Cette table ronde peut être lue en complément du n° 6 de la revue Transpositio, ainsi que du dossier «La scolarisation de la narratologie vue par quelques grands témoins». Elle complète également le dossier «Comment ça s’enseigne?» consacré à la place de la narratologie dans les pratiques enseignantes romandes du primaire au secondaire 2, qui reprend les interventions de praticien·nes et de formateur·ices qui se sont exprimé·es dans le cadre de ce même colloque. On trouvera enfin le reste des contributions de ce colloque dans n° 47 des Cahiers de narratologie.
La narratologie dans l’enseignement du français en Belgique, en France, au Québec et en Suisse romande
Table ronde animée par Raphaël Baroni, transcrite et éditée par Vanessa Depallens et Sonya Florey
Ce texte est basé sur la transcription, révisée par les auteur·ices, d’une table ronde qui s’est tenue le 7 mars 2025 à la HEP du canton de Vaud en Suisse romande dans le cadre du colloque international «Pour une théorie du récit impliquée », financé par le fonds national suisse de la recherche scientifique (projet n° 197612). Ce colloque marquait la dernière étape du projet «Pour une théorie du récit au service de l’enseignement» porté par l’équipe DiNarr. Cette table ronde peut être lue en complément du n° 6 de la revue Transpositio, ainsi que du dossier «La scolarisation de la narratologie vue par quelques grands témoins ». Elle complète également le dossier «Comment ça s’enseigne?» consacré à la place de la narratologie dans les pratiques enseignantes romandes du primaire au secondaire 2, qui reprend les interventions de praticien·nes et de formateur·ices qui se sont exprimé·es dans le cadre de ce même colloque. On trouvera enfin le reste des contributions de ce colloque dans n° 47 des Cahiers de narratologie.
Participation
- Jean-François Boutin (Québec, professeur en didactique de la littératie à l’Université du Québec, Lévis/UQAR)
- Nathalie Denizot (France, professeure des universités à Sorbonne Université – INSPE de Paris, responsable de l’équipe Prascoll du CELLF – UMR 8599)
- Jean-Louis Dufays (Belgique, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain)
- Chloé Gabathuler (Suisse, professeure en didactique à la HEP Valais)
Modération
- Raphaël Baroni (professeur à l'École de français langue étrangère à l’UNIL, responsable de projet FNS Di Narr)
Raphaël Baroni
Nous avons le plaisir d'accueillir pour cette table ronde plusieurs chercheurs et chercheuses en didactique qui ont accompagné le projet de recherche DiNarr tout au long de son développement. Jean-François Boutin est professeur en didactique du français depuis 1999 au Campus de Lévis dans l'Unité départementale des sciences de l'éducation. Il intervient dans les programmes de formation initiales des maîtres ainsi que des maîtresses. Nathalie Denizot est professeure des universités à l’INSPE de Paris (Sorbonne Université) et responsable de l’équipe Prascoll du CELLF (UMR 8599). Ses travaux portent sur la didactique de la littérature, dans une approche épistémologique et historique. Chloé Gabathuler est professeure en didactique à la Haute École Pédagogique du Valais et responsable de l’équipe LAC. Ses recherches portent principalement sur les modalités de réception des œuvres littéraires à l'école. Elle est l'auteur d'un ouvrage tiré de sa thèse de doctorat intitulé Apprécier la littérature. Et enfin, Jean-Louis Dufays est professeur émérite à l'Université catholique de Louvain où il a enseigné pendant 28 ans après avoir conjugué la recherche universitaire et l'enseignement dans le secondaire pendant 14 ans.
J'ai préparé trois questions qui serviront de jalons à cette table ronde. La première est la suivante: à partir de votre ancrage institutionnel dans quatre régions différentes de la francophonie (Québec, France, Belgique, Suisse) quelles spécificités percevez-vous dans la manière dont la narratologie s’est scolarisée et continue d’exister dans la culture scolaire?
Chloé Gabathuler
N’étant pas spécialiste de la narratologie appliquée à l’enseignement du français, je vais m’exprimer principalement en tant que formatrice d’enseignant·es et en m’appuyant sur le Plan d’études romand (PER).
Rappelons tout d’abord que l’approche de l’enseignement du français plébiscitée par le PER est de nature communicative ou communicationnelle. C’est pourquoi la notion de “genre de texte» y occupe une place centrale: elle permet, entre autres, de travailler la dimension communicative des textes, de les envisager comme des actes de communication.
Dans cette perspective, si l’on adopte une approche baronienne de la narratologie, qui envisage le récit dans sa dimension rhétorique, on pourrait penser que cette conception communicationnelle de l’enseignement du français crée un terrain favorable au déploiement des outils narratologiques. Or, dans les faits, on remarque que les notions de narratologie sont disséminées, comme des îlots épars, dans différentes sections du PER sans lien entre elles ni réelle définition. On les retrouve soit dans les axes consacrés à la «compréhension» et la «production de l’écrit»; soit dans celui consacré à la littérature. Lorsqu’on examine de plus près les notions présentes dans les axes «compréhension» et «production de l’écrit», on remarque un véritable manque de cohérence. Pour vous donner un exemple:
- au cycle 1, il est question du “contexte d’énonciation”,
- au cycle 2, on introduit la “situation de communication”,
- et au cycle 3, on passe à la “situation d’énonciation”.
Ces termes pourtant proches ne sont ni définis, ni articulés entre eux, ce qui rend leur appropriation difficile, tant pour les enseignant·es en formation que pour les élèves. Je comprends que mes étudiant·es — en particulier celles et ceux qui se destinent à l’enseignement primaire — soient perdu.e.s face à ces concepts. Pour la plupart, ils, elles sortent du secondaire sans formation littéraire approfondie. Résultat: ces notions leur semblent abstraites, voire incompréhensibles.
Du côté de l’entrée «apprécier la littérature», d’autres éléments apparaissent: la temporalité, le rapport narrateur-auteur, le point de vue, la manipulation de l’auteur, le suspense, ou encore l’influence sur le lecteur. On y devine une certaine conception du texte littéraire comme construction visant à orienter la lecture, mais là encore, tout cela n'est pas explicité.
Et surtout, ces différentes approches –production/compréhension d’un côté, appréciation littéraire de l’autre– ne se rejoignent jamais vraiment. Les notions sont traitées de façon cloisonnée, ce qui me semble problématique.
Le cycle 1, paradoxalement, me paraît le plus intéressant. Pourquoi? Parce qu’on y met l’accent sur le lecteur, sur son ressenti, son appréciation. Dans ce cadre, le texte est envisagé en fonction des effets potentiels qu’il peut produire sur le jeune lecteur. Mais au fil de la scolarité, on délaisse le pôle du lecteur au profit de celui du texte. Est mise en avant une approche classique de la lecture littéraire dans le cadre de laquelle l’élève doit repérer ce qui dans le texte constitue sa littérarité.
Enfin, je tiens à souligner que ces outils narratologiques sont non seulement utiles aux élèves, mais aussi nécessaires aux étudiant·es en formation. Pour les futur·es enseignant·es, notamment au primaire, pouvoir analyser finement un album jeunesse (dont la narration est souvent complexe, et enrichie d’images) est crucial. Or, sans une boîte à outils solide, il leur est très difficile d’anticiper les difficultés que les élèves pourraient rencontrer et de construire des séquences d’enseignement adaptées à leurs besoins.
Jean-Louis Dufays
Alors, pour ce qui est de la Belgique francophone, ce pays a peut-être été le premier à avoir intégré dans les outils d'enseignement et dans les prescriptions l'apport de la narratologie. Dès 1975, on trouve en effet un programme d'enseignement qui demande aux enseignants d'accorder une importance significative aux "lectures nouvelles”, comme on les appelait à l'époque, et notamment à l'analyse structurelle des récits et des poèmes. Et déjà, des notions sont explicitement présentées dans les ouvrages de formation continuée et dans les outils adressés aux enseignants. Je pense tout particulièrement à un livre qui a eu un rôle assez important, Pour comprendre les lectures nouvelles (1978), qui était signé par André Fossion et Jean-Paul Laurent. Laurenta d'ailleurs continué à écrire beaucoup sur l'enseignement du français par la suite. Et donc, on trouvait déjà là une présentation très complète, dense et même créative de la narratologie, alors que les travaux de Todorov, Propp, Greimas et compagnie étaient encore en cours de diffusion. En particulier, on trouve dans l'ouvrage de Fossion et Laurent, mais aussi dans les manuels qu'ils ont dirigés, la collection Français de chez De Boeck-Duculot, des présentations très élaborées du schéma narratif, du schéma quinaire, ainsi qu’une articulation des deux schémas qui ne figurait pas dans les travaux d'origine des narratologues. S’affichait ainsi d’emblée le souci de “bricoler» une transposition renouvelée qui n'était pas simplement descendante, même si elle témoignait d’un enthousiasme évident face aux nouveaux savoirs. En outre, ces outils adressés aux écoles se voulaient adaptés au niveau et aux besoins des élèves et étaient déclinés de manière spécifique en fonction des compétences de réception, d'écriture ou de récit orale: ils témoignaient donc déjà d’une réflexion didactique intéressante.
Certes, il faut préciser que cela a surtout concerné le secondaire, beaucoup moins le primaire, et davantage aussi le réseau de l'enseignement catholique, qui représente en Belgique 60 % des écoles secondaires. Il reste que, historiquement, la Belgique semble avoir eu un rôle pionnier par rapport aux autres pays francophones: je renvoie à ce propos aux données que Luc Mahieu a rassemblées, puisque nous avons maintenant une réponse très documentée à ces questions dans sa thèse qui va être soutenue très prochainement.
Mais si les notions narratologiques ont donc été préconisées en abondance en Belgique francophone dès les années 1970, elles ont reflué assez rapidement au cours des années 80 et surtout des années 90, comme dans les autres pays. Il est clair que là, on est entré dans une période de méfiance, tant sur le plan théorique que sur le plan des discours scolaires. Certes, les outils narratologiques, comme narrateur et point de vue, apparaissent encore çà et là, mais ils sont désormais estompés par rapport à d'autres notions et d'autres approches de la littérature.
Et puis, on assiste à un retour assez clair de la narratologie dans le dernier référentiel inter-réseaux de 2021-2022, qui concerne le nouveau tronc commun des neuf premières années de l'enseignement obligatoire dont la mise en œuvre se fait progressivement. Sans doute est-on maintenant entré dans une génération qui a intégré les recherches en didactique et le dialogue qui s’est établi entre ceux qui se méfiaient des excès du formalisme et ceux qui, au contraire, se rendaient compte de l'utilité des outils narratologiques pour objectiver un peu l'analyse des textes. Et donc, la narratologie est à nouveau explicitement prescrite, avec une progression au fil des niveaux scolaires qui parait relativement bien pensée et dont je parlerai tout à l’heure, puisque c'est l'objet de la deuxième question.
Nathalie Denizot
Je ne suis pas sûre de savoir répondre non plus très précisément à la question. Et je voudrais rappeler tout d’abord que de nombreux éléments importants de réponse à cette question sont dans la thèse de Luc Mahieu (qui, je l’espère, sera bientôt publiée!), et évidemment aussi dans les entretiens avec les acteurs de la scolarisation, qui sont en ligne sur Transpositio.
Cela dit, si j’en crois le petit travail que j’ai fait (dans Transpositio) sur les manuels ou les chapitres de «méthodes», la narratologie au lycée a été scolarisée davantage à partir de la question du point de vue et du narrateur (du personnage aussi, mais de façon sans doute moins «technique»), que du schéma narratif (qui lui relève sans doute davantage du collège). Il faudrait prolonger ce travail pour comparer avec le collège, parce qu’il y a sans doute des différences collège/lycée: Reuter (dans les entretiens) évoque le succès du conte au collège pour travailler le schéma narratif; mais on peut se dire aussi que c’est sans doute parce que le conte était un genre déjà bien scolarisé que le schéma narratif a si bien pris...
Il en est de même pour l’usage de la narratologie dans les classes de lycée, et notamment à l’EAF1. Certes, comme le soulignent les «acteurs de la scolarisation» interrogés dans Transpositio, la narratologie a permis de renouveler l’approche des textes, et de sortir d’approches plus impressionnistes ou paraphrastiques. Mais il me semble que l’on peut aussi renverser la perspective, et que le succès de la narratologie est en partie lié aux exercices métatextuels caractéristiques de ce niveau. D’une certaine manière, il y a eu une forme de rencontre dans les années 1970-1980 entre l’instauration de l’EAF (à partir de 1969), qui comprend une épreuve orale d’explication de texte et une nouvelle épreuve écrite, le «commentaire», et la diffusion des théories narratologiques. C’est en effet à partir des années 1970 que la narratologie et les théories textuelles commencent à être diffusées dans les classes, à travers des revues comme Pratiques, à une époque où les revues de didactique sont adossées à des collectifs qui ne se contentent pas de publier mais qui s’impliquent dans des stages de formation continue, des universités d’été, etc., ou qui participent à des ouvrages de vulgarisation. Or, les exercices métatextuels de l’EAF (explication de texte et commentaire) partagent un point commun, celui de reposer sur des extraits, des textes courts voire très courts (certains textes officiels limitaient même assez drastiquement le format, autour de 15 lignes ou vers). Ils offrent ainsi une occasion de mettre en œuvre des outils tournés vers des lectures microtextuelles (par exemple le point de vue), et la «grammaire narratologique» prend plus facilement le relais des approches philologiques pour outiller ces lectures «de près» qui deviennent incontournables à l’écrit et à l’oral du bac de français. Quand on invente la lecture «méthodique» dans les années 1980, cette idée de «méthodes» pour la lecture des textes suggère clairement l’usage d’outils empruntés aux nouvelles approches en sciences humaines – dont la narratologie, qui fait d’ailleurs son entrée officielle dans les programmes à la fin des années 1980.
Pour le dire autrement, c’est bien sûr parce qu’elle était efficace que la narratologie est devenue un outil (ou un ensemble d’outils) utile pour les exercices métatextuels . Mais c’est aussi parce que les caractéristiques de ces exercices – en tant que genres scolaires – étaient particulièrement bien adaptées au type de lecture qu’elle permettait, que la narratologie s’est ainsi ancrée dans les pratiques. Explication de texte et commentaire ont facilité la scolarisation de la narratologie, voire en ont configuré la scolarisation, ce qui explique peut-être cette centration sur les points de vue et le narrateur.
Jean-François Boutin
Lorsque j’examine les instructions officielles du Québec, il y a peut-être effectivement une spécificité qui émane, mais je vais la contextualiser quelque peu. On est actuellement, au Québec, dans une période de transition. C'est-à-dire qu'il y a eu un rappel des instructions officielles, aussi bien celles du primaire que du secondaire, seulement pour l'enseignement du français. Ce rappel-là a été demandé en juin 2023 et on termine présentement, quand je dis «on», c'est un peu fallacieux, mais en tout cas, les didacticiens du français québécois et didacticiennes québécoises, on est à terminer notre critique de la proposition de programme. C'est un peu un exercice effectué en vain parce qu'il y a très peu de recommandations qui vont rester malgré tout parmi nos analyses.
Au Québec, il faut dire que nos programmes actuels datent du siècle dernier... Ce sont des programmes qui étaient structurés autour de compétences. Il y avait quatre compétences au primaire: oral, lecture, écriture et appréciation des textes littéraires. Et Il y avait au secondaire trois compétences: lecture, écriture et oral. Donc c'est comme ça que fonctionnaient nos programmes et qu’ils fonctionnent encore. Il y a quelque chose, une spécificité propre peut-être au Québec par rapport aux programmes de français, sur laquelle j’aimerais insister, avant d’aborder la question de la présence de la narratologie dans les programmes.
Chez nous, il y a une pression parentale typiquement nord-américaine (je ne peux pas parler pour l'Europe), qui a mené à une sorte d’hyper-pragmatisme. Et ça s'est traduit dans l'obligation, dans pratiquement toutes les disciplines scolaires, d'avoir des cahiers d'exercices. Et là, je ne parle pas de manuel, mais bel et bien de cahiers d'exercices, ceci à un tel point que l'édition scolaire a complètement basculé. Elle est passée d'une édition qui publiait des manuels scolaires vers une édition qui publie des cahiers d'exercices qui sont évidemment jetés à la fin de l'année scolaire, «brûlés lors d'un feu de la Saint-Jean» par les élèves, etc. Et ça, ça a créé une pression pour qu'on retarde le renouvellement des instructions officielles, qu'on étire au maximum l’élastique. Dans ces cahiers d'exercices, un examen minutieux permet de constater qu’on y est extrêmement fidèle à la progression des apprentissages proposée par le ministère de l'Éducation pour le français aussi bien au primaire qu'au secondaire. Et je dirais que ce qui caractérise les instructions officielles actuelles comme ces cahiers d'exercices, c'est peu d'éléments de narratologie, mais une application très radicale, très radicale et très, très, très pragmatique, voire utilitariste des éléments dont on a parlé depuis deux jours. Donc, on est très traditionnel, si je peux parler ainsi, par rapport à la narratologie. On retrouve très peu d'éléments de rénovation de la narratologie dans les programmes. Et donc, c'est une approche très «clientéliste», d'une certaine façon. Et ça oriente énormément les décisions actuelles parce qu'il n'y aura pas de changement radical. On s'en va vers quelques nouveautés, quelques intégrations. Il y a des résistances très fortes, par exemple, à l'intégration du numérique, notamment de la fiction numérique, dans les programmes. Donc dans les compétences de français revampées, il n'y aura pas d'éléments qui porteront spécifiquement sur un volet numérique du recours, de la production, de la fréquentation, etc. de la fiction en classe. Donc, on reste très, très proche de ce qui s'est fait ailleurs dans la francophonie. On était déjà à la remorque; on restera très «Greimas», très «Genette».
Raphaël Baroni
Deuxième question: en termes de progression, comment voyez-vous l’évolution des notions mobilisées aux différents degrés de la scolarité? Pourrait-on construire des progressions plus claires en ce domaine?
Chloé Gabathuler
J’ai déjà commencé à répondre à cette question en évoquant le Plan d’études romand (PER). Je précise que je ne parlerai pas du secondaire 2, car ce n’est pas mon domaine d’expertise. Je me concentre sur l’école obligatoire, et, plus précisément, sur la structure spiralaire du PER.
Lorsqu’on examine les notions présentes dans les volets «compréhension» et «production», on constate que ce sont globalement les mêmes qui reviennent d’un cycle à l’autre. Les formulations varient légèrement, mais le fond reste très similaire. La seule réelle progression apparente se situe entre le primaire et le secondaire 1, au sein de l’entrée «apprécier la littérature». À ce niveau, on voit apparaître la notion de «suspense», ou encore on parle de l’influence du narrateur sur le lecteur. Ces éléments renvoient à la manière dont un texte est construit pour agir sur le lecteur. Cela pourrait être très stimulant… sauf que ces notions sont souvent présentées dans une approche très classique de l’enseignement de la littérature. Je l’ai dit tout à l’heure, on demande aux élèves de retrouver dans le texte ce qui en fait un objet littéraire. Or on le sait bien: on n’a jamais vraiment réussi à identifier de façon définitive ce qui constitue la littérarité d’un texte. Les outils narratologiques peuvent certes soutenir les analyses des textes, mais n’oublions pas un aspect fondamental de la lecture, à savoir le lecteur et l’interaction entre le texte et celui ou celle qui le lit.
Autre point que j’aimerais souligner – notamment à la lumière de la présentation de Claire Detcheverry– c’est la question de la progression. On entend souvent que cette progression doit aller du plus simple au plus complexe. Pourtant, quand on regarde certains parcours de lecture proposés dans les nouveaux moyens d’enseignement romand, notamment celui portant sur un album sans texte à destination du cycle 1, on se rend compte qu’on est loin de la simplicité. A mon sens, certains albums jeunesse, par leur richesse narrative, sont plus denses que des romans lus au secondaire I. Même si ces romans posent aussi des questions intéressantes, ils restent relativement simples sur le plan narratif.
Alors, doit-on vraiment penser la progression selon un axe allant du simple au complexe? Ne pourrait-on pas envisager que les outils narratifs soient les mêmes tout au long de la scolarité? La seule différence résiderait dans le langage utilisé: on n’emploierait pas le terme de prolepse avec des enfants de quatre ans. Pourtant, lorsqu’on observe ce qui se passe en classe, même au tout début de la scolarité, on se rend compte que les élèves saisissent bien les phénomènes. Un enfant de maternelle peut parfaitement dire qu’un récit «commence par la fin». Il ne disposera pas des concepts, mais il aura déjà une forme d’intuition narrative.
L’enjeu serait donc de maintenir une approche articulée entre le texte et le lecteur tout au long de la scolarité, cela sans tomber d’un côté dans une lecture purement subjective centrée sur les émotions, ni de l’autre dans une analyse froide uniquement textuelle. Il s’agit d’aborder les textes narratifs dans leur dimension rhétorique, d’accompagner les élèves dans une réflexion sur la capacité des histoires à affecter ceux qui les reçoivent – ou pour le dire autrement: porter son attention sur le storytelling dont parle James Phelan et sur les effets que ce storytelling produit sur le lecteur.
C’est aussi une manière d’introduire une réflexion éthique - là je pense à Wayne C. Booth – en interrogeant les relations complexes qui se nouent entre l’auteur, le narrateur et le lecteur. Tous ces éléments mériteraient d’être davantage mis en avant: ce sont de vrais outils pour une approche esthétique de la littérature, qui est, je dois l’avouer, mon cheval de bataille.
Enfin, ce que j’ai beaucoup apprécié dans les interventions précédentes – notamment celle d’Yves Renaud ou encore dans les échanges autour des incipit – c’est la place donnée à la production écrite comme outil de compréhension. Catherine Tauveron le disait déjà dans les années 90: faire écrire les élèves les aide à mieux comprendre les mécanismes esthétiques du texte. Produire pour mieux lire, mieux interpréter, mieux apprécier. Et les outils narratologiques peuvent tout à fait servir de leviers dans cette démarche.
Jean-Louis Dufays
Pour ce qui est de la progression, je dirais qu’il s’agit d’abord de tenir compte du fait qu'il y a plusieurs compétences à travailler autour du récit. Les compétences de lecture évidemment, mais aussi les compétences d'écriture, on en a largement parlé cet après-midi, puis il y a aussi les compétences orales: écouter le récit, dire le récit. Donc, ce serait bien qu'une progression tienne compte de ces quatre compétences. C'est le cas dans le nouveau référentiel dont je parlais tout à l’heure. Je vais essayer de vous résumer en quelques mots comment cette progression y est proposée car elle a fait l'objet d'un long travail de co-construction qui m'a semblé très fécond entre des enseignants qui avaient expérimenté des choses et des didacticiens qui avaient fait des recherches autour de la question. Je précise que je n'en parlerai pas de façon totalement neutre, puisque j'ai été consulté par ceux qui ont élaboré ce programme.
Première remarque: la progression envisagée distingue cinq stades de la lecture au long de la scolarité obligatoire. Le premier est le stade du lecteur émergent, qui commence à apprendre à lire en maternelle et au tout début du primaire. Puis vient le stade de l'apprenti lecteur, qui concerne surtout la première année du primaire: l’élève y est à la fois dans le décodage et dans le début du travail de compréhension. Ce faisant, il entre déjà dans le stade du lecteur débutant, où des opérations plus complexes se mettent en place, et dès la deuxième année, il arrive au lecteur en transition, qui se poursuit jusqu’à la quatrième et où il accède déjà à une lecture littéraire. Enfin, en cinquième et sixième secondaire commence le cheminement vers le lecteur dit confirmé. Et donc les différentes notions qui relèvent de l’analyse du récit sont associées à ces différents stades de développement de la lecture et aux différents niveaux scolaires.
Plus précisément, les compétences de lecture du récit commencent à être développées à partir de la troisième primaire. Dès ce niveau-là, on demande que les enseignants amènent les élèves à identifier les cinq structures narratives majeures définies par Adam, à savoir les structures narrative, argumentative, descriptive, dialoguées et explicatives. De plus, le référentiel se distingue en reliant le travail sur les structures textuelles à la promotion d'une lecture littéraire, qu’il définit par sa double modalité, participative et distanciée: il invite à utiliser le récit d'un côté pour amener l'élève à mieux s'identifier aux situations, à vivre l'émotion d'une tension narrative, à se projeter dans l'histoire –c'est la dimension participative–, et de l'autre pour l'amener à acquérir et à mettre en œuvre des outils d'analyse, en étant capable, comme on l'a vu dans plusieurs des interventions de cet après-midi, de déjà nommer les éléments de construction du sens et du récit qui se mettent en place.
Donc, dès l'enseignement primaire, on a cette lecture littéraire qui est préconisée à propos des cinq structures génériques et en lien avec deux productions écrites qui sont demandées. Les productions attendues se complexifient ensuite au fil de la scolarité. Au secondaire, on demande que l'élève soit capable de résumer un court texte narratif et de résumer oralement un court texte narratif et de rédiger un court récit de fiction à partir d'illustrations, puis il va falloir résumer à l'écrit. Le texte sera de plus en plus substantiel, de plus en plus long. À partir de la troisième secondaire, l'élève est amené à utiliser le récit pour relater une rencontre avec une œuvre culturelle. Donc le récit ne sert plus seulement à travailler la lecture ou l'écriture de la fiction, mais aussi à relater une expérience vécue, une expérience culturelle en l'occurrence. Il sert aussi de matrice pour la réécriture (sous la forme d'amplification, de recomposition ou de transposition) de récits de fiction. S’affiche ainsi un souci de distiller au fil des années, dès la troisième primaire et jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, des compétences spécifiques.
Par ailleurs, la boîte à outils narratologique va progressivement s'enrichir. Dès la troisième primaire, on parle déjà d'identifier le narrateur, et puis, au fil des trois premières années du secondaire, on intègre de plus en plus d'éléments, la gestion de la temporalité et du rythme narratifs, les notions de récits parallèles et enchâssés, les différents types de focalisation, toutes ces notions inspirées de la narratologie sont explicitement intégrées dans la progression. Au cours des trois dernières années du secondaire, les outils narratologiques sont davantage présupposés comme étant déjà maitrisés, et la lecture des textes littéraires, qui doit à ce moment-là aboutir à des réécritures créatives et à l'explicitation d'une relation critique à l'œuvre, s'appuie sur des outils, notamment narratologiques, mais qui ne sont plus détaillés.
Telle est donc la progression en matière de compétences narratives qui est actuellement préconisée en Belgique francophone. Comme elle vient seulement d’être établie, il est trop tôt pour en mesurer les effets, mais elle a le mérite d’être assez précise et de résulter d’un dialogue avec des enseignants de terrain.
Nathalie Denizot
Je ne suis pas sûre de pouvoir véritablement répondre à cette question, d’abord parce que contrairement à la Belgique, les programmes français actuels sont assez peu détaillés et ne parlent pas explicitement de narratologie. Cela dit, je trouve vraiment intéressant de réfléchir aux types de progression possibles en la matière, et il est clair que ce qui est intéressant pour les notions narratologiques –comme pour bien d’autres objets de la discipline–, c’est d’envisager une progression spiralaire, qui vise des approfondissements successifs d’un même objet et qui procède par reprises et complexification - et non pas une progression linéaire. Qu’est-ce qui serait en effet «plus simple» dans les savoirs narratologiques, et que serait la «base» en narratologie?
Par ailleurs, plutôt que de chercher à opérer des progressions a priori, qui risquent de faire des outils narratologiques non plus tant justement des outils que des contenus à enseigner pour eux-mêmes (c’est une dérive souvent identifiée pour les savoirs grammaticaux), ne pourrait-on pas, comme le suggèrent justement certains didacticiens de la grammaire pour leur domaine, identifier un (très petit) noyau dur de savoirs métatextuels indispensables, et les affiner selon les niveaux mais surtout selon les textes? La notion de narrateur, par exemple, gagnerait sans doute beaucoup à une telle approche spiralaire.
Cela permettrait aussi de découpler l’appropriation du métalangage et l’appropriation des concepts, qui sont deux choses bien différentes et qu’on a parfois tendance à mélanger. Certes, il peut y avoir un vrai plaisir, même pour certains élèves, à affiner la terminologie, à distinguer «homodiégétique», «hétérodiégétique», etc. Mais est-ce que c’est un apprentissage indispensable? Je n’en suis pas sûre. On peut très bien savoir ce qu’est la prolepse ou l’analepse sans connaitre la terminologie narratologique, et cela vaut sans doute pour un certain nombre de notions. Introduisons-les de manière raisonnée et complexifions la terminologie au fur et à mesure que la lecture des textes va demander des interprétations de plus en plus fines et que les textes eux-mêmes se complexifient. Il ne faut pas oublier, comme le rappelait Alain Rabatel dans ce colloque, que tout cela doit rester au service du sens, de l'interprétation du texte. Les concepts et la terminologie sont des outils de lecture des textes avant d’être des objets d’enseignement et d’apprentissage.
Jean-François Boutin
Je vais répondre aux deux questions de cette question. La première question est très intéressante parce qu'elle nous force à constater que si on regarde en termes de progression actuelle, on reconduit dans les instructions québécoises à venir, qui devraient être en application soit à la rentrée 2025 ou plus tard à la rentrée 2026, ce qu'il y avait déjà. Il y a toutefois la disparition de la fameuse compétence «interpréter des textes littéraires» au primaire parce que la pression est venue des enseignants et enseignantes qui disaient qu'ils ne savaient pas quoi en faire... Donc vous voyez que là, on évacue quand même une partie importante de l'expérience de la fiction. On l'intègre toutefois dans les deux autres compétences -lecture et écriture- et on essaie même de l'intégrer dans l'oral, ce qui est quand même intéressant, notamment l'oral qui pourrait tendre vers la fiction. On peut penser aux balados/podcasts. Donc là, il y a une ouverture qui est intéressante. Au Québec aussi, il faut dire qu'au secondaire, il y a une pression très forte générée par l'épreuve uniforme de fin de cycle, l'épreuve de fin d'année. Les enseignants et enseignantes passent un temps fou à préparer leurs élèves à réaliser une épreuve qui est toujours organisée autour d'un type de texte particulier. Et le seul moment où on travaille systématiquement le texte narratif, c'est en troisième secondaire. Donc, vous voyez que c'est là que se concentrent beaucoup les éléments que j'oserais appeler de narratologie, qui sont davantage abordés de façon explicite en classe de français.
Maintenant, pour la deuxième partie de la question, si on se met à rêver, et là j'endosse totalement les propos de Nathalie Denizot, moi aussi j’aimerais garder mon espace critique par rapport à ce qui est proposé par le ministère de l’Éducation chez nous au Québec. Moi, je n'ajouterais rien de plus à ce que Nathalie a dit. Je pense que ça fait grand sens. Ce que j'aimerais simplement évoquer davantage, c'est qu’on a beaucoup de résultats sur les pratiques culturelles des jeunes du Québec et de l’Amérique du Nord. On s'aperçoit que les jeunes, les élèves, les adolescents, les enfants qui fréquentent l'école au Québec sont de très grands amateurs de fiction. Mais pas la fiction qu'on connaît, qui s'est instituée au fil du temps, qui est scolarisée. Ils sont dans des horizons de fiction qui sont même parfois difficiles à accepter pour des spécialistes et l'école, malheureusement, au Québec, prend très peu en considération cette dimension-là. Je pense par exemple aux univers de fan fiction, je pense aux univers de la transfiction, évidemment, le cosplay, la pratique du jeu vidéo, qui est extrêmement populaire, la consommation pratique du manga, etc. Il y a chez nous une effervescence, présentement, il y a manifestement un besoin de s'évader un peu du réel, qui est très présent et fort documenté, statistiquement parlant. Or il y a un fossé avec l'école qui ne prend pas cela en considération. Je pense que c'est là que ça fait mal parce que les élèves en viennent à considérer, par exemple, le conte comme un genre scolaire, comme une forme scolaire, alors que lorsqu'ils vont lire un conte de Tolkien, ils n'auront pas l'impression d'être dans un conte, ils vont avoir l'impression d'être ailleurs en imaginaire. Alors là, il y a, je ne dirais pas un dérapage, mais en tout cas, il y a une discordance assez forte. Et ça me préoccupe énormément. Je souhaiterais qu'on rapproche ces deux univers-là, l'univers des pratiques informelles et celui des pratiques scolaires. On a pourtant essayé de faire bouger les choses...
Raphaël Baroni
Enfin voici ma dernière question: selon vous, à quelles élaborations didactiques faudrait-il procéder aujourd’hui pour que la théorie du récit puisse (re)devenir une ressource pour l’enseignement du français? Quelles approches ou notions vous semblent les plus utiles? Quels sont les principaux obstacles à relever et les principaux dangers à éviter?
Chloé Gabathuler
Je partage entièrement l’avis de Jean-François Boutin. Pour moi, il est essentiel de prendre en compte les pratiques culturelles des élèves. On sait théoriquement qu’il faut partir des élèves, mais dans la réalité –notamment lors d’évaluations–, ce principe reste encore trop peu appliqué.
Les élèves baignent constamment dans des formes narratives: jeux vidéo, mangas, réseaux sociaux… Je pense à TikTok, par exemple. Ces vidéos utilisent souvent certains procédés narratologiques pour pouvoir susciter le plus d’effet possible sur l’audience. Il me semble donc fondamental de partir de ces pratiques-là. Cela peut surprendre ou heurter, mais pourquoi commencer directement par Balzac? On peut tout à fait établir des ponts vers les textes littéraires du secondaire 1 ou 2, à condition de partir d’abord de l’univers et des pratiques culturels des élèves.
Déjà à l’époque –lointaine!– où j’enseignais au secondaire à Genève, je m’appuyais sur des extraits de films pour aborder certaines notions narratologiques. À défaut des outils numériques d’aujourd’hui, on avait déjà besoin du visuel pour faire passer certaines notions. C’est pour ça que le travail évoqué tout à l’heure par Claire Detcheverry me semble si riche: il permet aux élèves de se focaliser d’abord sur l’image et son langage propre, ce qui est loin d’être simple, mais qui propose une autre porte d’entrée probablement plus accessible pour les élèves fragiles ou en difficulté de lecture. Toutefois, il reste à penser le passage entre ces deux modes sémiotiques. Les outils narratologiques pourraient bien servir de charnière entre ces deux modes d’expressions.
Par ailleurs, pour citer de mémoire Raphaël Baroni, l’approche narratologique met en lumière des dispositifs rhétoriques qui ont le pouvoir –ou non– d’orienter et d’affecter le lecteur. Cette approche et les différentes notions ou concepts qu’elle propose pourraient constituer, selon moi, une clef d’articulation entre les différentes dimensions du français (compréhension, réception, production) en offrant une forme de stabilité conceptuelle qu’on peut retrouver à chaque étape du travail avec les élèves.
Et même si l’on se place uniquement du point de vue de la réception, ces outils permettent justement d’éviter l’écueil d’une lecture purement subjective, comme l’a souligné Nathalie Denizot –je la rejoins tout à fait là-dessus. L’école est un espace social au sein duquel l’expression personnelle, idiosyncrasique, y gagne à être structurée. Cela me fait penser aux travaux de Marion Sauvaire, mais surtout à ceux de Lev Vygotski à partir desquelles j’ai développé cette idée de double mouvement vers soi et vers le texte. C’est-à-dire cette capacité qu’on cherche à développer chez les élèves à porter attention à ce qui se passe en eux pendant la lecture tout en étant capables de revenir au texte toujours avec attention et de pointer certaines de ses spécificités responsables de tels ou tels effets. Et c’est précisément ce que permet la nouvelle narratologie: articuler cette tension entre subjectivité et analyse textuelle, entre résonance intime et partage de significations avec les pairs. Il me semble que ce double mouvement est un moteur puissant de transformation sur le plan développemental.
Enfin, j’aimerais évoquer un point qu’on n’a pas abordé: celui des capacités transversales dans le PER. On nous demande aujourd’hui de les intégrer dans nos cours de didactique du français. Parmi elles, il y a notamment la pensée créatrice. Il me semble que c’est une formidable opportunité –une sorte d’alibi pédagogique– pour revisiter ce que l’on enseigne et ce que l’on transmet aux futur·es enseignant·es. Ce pourrait être l'occasion de démontrer l’utilité des outils narratologique (parmi d’autres) dans le développement de la pensée créatrice et de l’imagination.
Jean-Louis Dufays
Je vais peut-être commencer par la fin de ta question où tu demandais s'il y avait des dangers qui me semblaient être à éviter. Il me semble d’abord qu'il faut peut-être observer les mésusages qui ont pu être faits de la narratologie, en tenant compte notamment de la thèse de Luc Mahieu, qui nous permet de voir un certain nombre de remarques qui sont faites par des enseignants eux-mêmes ou par des chercheurs en didactique. Cela étant, je vois quatre problèmes qu'il s'agirait autant que possible d'éviter.
Le premier, ce serait de la naturalisation de la narratologie et de ses outils: il s’agirait de ne pas considérer que ceux-ci vont de soi. On a assez dit combien la trop grande évidence accordée au schéma narratif, pour ne citer que lui, a posé des tas de problèmes. Ça fait maintenant trente ans que Catherine Tauveron a signalé qu'il y avait d'autres manières de travailler les récits dès l'enseignement primaire. Donc la naturalisation me paraît un premier problème, et il va de pair avec celui de l'enseignement implicite: trop souvent, on suppose que des notions narratologiques ont été enseignées les années précédentes alors qu’elles ne l'ont pas été, ou du moins pas de la façon que l’on croyait
Le deuxième problème, ce serait la dilution des outils narratologiques ou leur évitement, c'est-à-dire le fait de les utiliser de manière floue. Tant mieux si on fait preuve de souplesse et de créativité dans leur usage, mais il me semble qu'ils requièrent aussi un minimum de rigueur, et c'est tout l'objet de ce colloque d'avoir justement essayé d'un peu remettre cette rigueur-là au premier plan. Donc, ce serait pour moi un rôle du chercheur d'essayer d'être attentif à ce que, quand on emploie les mots focalisation, narrateur, point de vue, schéma narratif ou actantiel, on essaye de le faire avec une certaine précision et avec un certain sens critique et qu'on essaie d'instiller aussi ce sens critique dans le travail même des enseignants.
Le troisième risque, qui est proche du deuxième, ce serait l'atomisation des outils narratologiques, le fait de les travailler de façon isolée, trop morcelée, sans penser à leur intégration dans un ensemble qui fait sens.
Enfin, le quatrième danger, à mon sens, ce serait celui de l'autonomisation trop grande de la narratologie, la tendance à travailler les récits uniquement sous cet angle-là, d'en faire l'unique ou le principal angle de travail pour analyser les textes. Par contraste, comme je l’évoquais tout à l'heure, certains programmes aujourd'hui insistent beaucoup sur l'importance d’aborder les récits en travaillant les différentes modalités et postures de la lecture littéraire. Il me semble que l'intégration de la narratologie, mais aussi des approches sociologique, institutionnelle, intertextuelle et autres, dans cette conception souple et dialectique de la lecture conçue comme un va-et-vient entre distanciation et participation serait un garde-fou qui permettrait d’éviter une autonomisation trop grande de certains outils, quels qu’ils soient, et partant une nouvelle dérive qui risquerait de hérisser certains observateurs.
Pour répondre à ces dangers, quelles seraient pour moi des priorités à travailler? Je vais tout d’abord avancer dans le sens de ce qui vient d'être dit par mes collègues: il me semble essentiel de travailler le récit dans la diversité de ses formes actuelles, de ses réalisations discursives actuelles, pas seulement littéraires et pas seulement traditionnelles, mais à travers la BD, le cinéma, les séries, le théâtre, la poésie, le jeu vidéo, les différentes formes de narrativité que les élèves utilisent, auxquelles ils recourent dans leur vie quotidienne. Ces différentes formes du récit sont en effet des éléments constitutifs de la culture contemporaine, me semble-t-il, et elles ne relèvent pas seulement de la culture des jeunes, mais plus largement de la culture médiatique, des différentes formes de rapports aux objets culturels. Cela me semblerait vraiment important que les classes de français s'ouvrent davantage à cette diversité des formes de récits. En même temps, elles gagneraient à s'interroger sur les enjeux de ces formes de récits, sur la place du storytelling, qui est peut-être une manifestation médiatique et politique de cette place croissante accordée au récit. Cela vaudrait la peine qu'on s'interroge sur la place que prend le récit comme genre parfois un peu totalitaire, et qu'on se demande s'il n'y a pas d'autres manières de penser le rapport au sens, le rapport à l'identité, le rapport au monde. On sait que la notion d'identité narrative a été fortement mise en évidence par Ricoeur, mais il y a aussi peut-être une identité argumentative, une identité poétique, une identité dialoguée: il n'y a pas que le narratif comme entrée. Je pense que ces questions-là ne sont pas que des questions d'universitaires, de chercheurs, d'intellectuels: elles auraient aussi éminemment leur place dans l’enseignement secondaire. Je plaiderais donc volontiers pour qu’une élaboration didactique à venir intègre cette visée un peu plus large du rapport au récit en l’abordant de manière critique.
Pour terminer, il y a des notions qui me semblent essentielles et qui sont encore très peu présentes dans les manuels ainsi que dans les préconisations officielles. Il y a d’abord l'apport de cette «nouvelle narratologie» dont Raphaël est peut-être le porte-parole le plus éminent. Pour moi, les notions de mise en intrigue et de tension narrative, mais aussi les différentes formes de nœuds narratifs -la catastrophe, le conflit, l'action planifiée- constituent des outils extrêmement opératoires que je travaille avec mes étudiants de l'université depuis une quinzaine d'années parce qu'elles offrent une entrée qui fait sens dans les textes narratifs.
J’évoquerai ensuite tout le travail possible sur les blancs du texte, cette notion que j'avais un peu travaillée à l'époque de ma thèse (Dufays 2010: 155-158)2. On peut aussi appeler cela les lieux d'indétermination, les lieux de résistance, et cela intègre les phénomènes d’ambiguïté et d'ambivalence, les ellipses, ce que le texte ne dit pas, et les résidus, ces passages qui ont l'air de ne servir à rien. Dans les récits on en a constamment, j'en avais fait une petite typologie à l’époque. Il me semble que ce travail sur les blancs serait extrêmement utile pour travailler les difficultés de lecture avec les élèves qui sont parfois bloqués devant des textes narratifs et qui disent: «Mais là, je ne comprends pas, qu'est-ce que le texte a voulu dire?» Pourquoi ne pas partir de ce repérage de ces blancs, de ces indéterminations? Cela permettrait de les nommer et d’en faire des outils d'analyse plutôt que les considérer comme des implicites, ce qui contribue à bloquer le rapport au texte.
Et puis enfin, vous ne serez pas étonnés si vous connaissez un petit peu mes travaux, de savoir que, pour moi, travailler le récit, ça suppose aussi de travailler autour des formes instituées des récits et donc les stéréotypies, qu'elles soient d'ordre micro-textuel, d'ordre narratif ou thématique ou d'ordre idéologique. Pour moi, le récit est le lieu privilégié pour travailler la stéréotypie, et en retour, la stéréotypie est un outil privilégié pour s'approprier de manière critique le rapport au récit.
Nathalie Denizot
Je vais répondre un petit peu à côté, parce que je ne sais pas vraiment quelle «élaboration didactique» il faudrait faire pour les savoirs narratologiques. Mais je trouve très intéressant que soit repris ce concept d’élaboration didactique proposé par Jean-François Halté, qui s’inscrit dans une vision praxéologique de la didactique: il s’agit, écrit Halté dans son article de 1998, de redonner à l’enseignant son rôle et sa place de protagoniste essentiel, en tant que cet enseignant va donner du sens à la transposition en «recontextualis[ant] [l]es savoirs de manière efficace» (1998: 191). Et c’est bien le projet d’enseignement qui prime: «Ce n’est pas parce qu’un savoir savant est disponible et enseignable qu’il est (doit être) enseigné: c’est parce que tel projet didactique est poursuivi que tel concept issu de telle théorie est élu et transposé» (1998: 192). Cela fait écho à ce qu’on a déjà dit plusieurs fois au cours de ces journées: c’est l’usage qui prime, et les savoirs narratologiques doivent être au service de la lecture des textes, et pas l’inverse.
En fait, pour Halté, l’élaboration didactique est du ressort des enseignants, dans un contexte (les années 1980-1990, le bouillonnement de l’INRP, les collectifs de Repères ou de Pratiques) où les didacticiens travaillent avec les enseignants pour renouveler l’enseignement du français. Et en tant que «méthodologie implicationniste», pour reprendre son expression (1998: 191), elle implique, relativement aux savoirs, des conséquences qui sans doute ne ravissent pas les spécialistes des «savoirs savants», puisqu’il faut savoir renoncer à une forme de «pureté» (pour reprendre le terme d’Halté, que je m’autorise ici à citer un peu plus longuement):
L’élaboration didactique des savoirs, parce qu’elle implique (et également par cela qu’elle implique), produit des objets d’enseignement qui n’ont pas la pureté, le tranchant, des objets scientifiques, ni, non plus, la fluidité des objets sociaux: ce sont des objets du meilleur compromis possible. (Halté 1992: 122).
Et en effet, ce que tous les travaux depuis plusieurs décennies sur la construction des savoirs scolaires nous apprennent, c’est que les savoirs scolaires ne sont pas –ne peuvent pas être– «purs». Pour ma part, je parlerai sans doute après Chervel du rôle créateur de l’école, qui ne se contente pas de relayer ou de transposer des savoirs forgés en dehors d’elle, mais qui les reconstruit, les reconfigure, pour «fabriquer de l’enseignable ».
Que faire alors? Évidemment, comme Halté et ses amis du collectif Pratiques, ou comme tous ces didacticiens de cette génération, il faudrait non seulement intervenir en formation initiale (à l’université comme dans les instituts de formation des enseignants), mais aussi (et surtout?) en formation continue des enseignants –ce qui en France devient plus compliqué parce que la formation continue relève actuellement davantage du rectorat et des inspecteurs que des Inspé et de la recherche universitaire. Peut-être, comme Dumortier, Reuter, et quelques autres, il faudrait produire de nouveaux usuels, mais des usuels un peu différents, qui aident à comprendre les enjeux, les débats, qui ne figent pas des notions prêtes à l’emploi et qui s’adressent à l’intelligence des enseignant·es ou des formateurs et des formatrices, à leur culture sans doute déjà étendue sur ces questions, sans les prendre pour des élèves avec des reformulations dépersonnalisées. Non pas seulement définir les différents types de «narrateur» ou de «points de vue», mais distinguer les apports des différents théoriciens, les points de tension aussi. Il manque, me semble-t-il, la strate intermédiaire entre les manuels pour les élèves et les travaux des spécialistes. Enfin, comme Petitjean avec ses collègues de Pratiques, et bien d’autres, il faut peut-être aussi prendre sa part dans l’élaboration des manuels.
Dans tous les cas, ce qui me semble essentiel est de garder à l’esprit que si les didacticien·nes et les narratologues peuvent faire quelque chose, ce n’est surtout pas dire aux enseignant·es ce qu’il faut enseigner... Mais on peut aider les enseignant·es à choisir les notions les plus utiles et les plus opérantes pour interpréter les textes, à objectiver et à interroger les démarches ou les dispositifs, à en analyser les intérêts mais aussi les limites, à partir de données construites, pour dépasser les simples témoignages de «bonnes pratiques».
En fait, il me semble qu’il serait vraiment intéressant et utile pour tout le monde (didacticien·nes, narratologues et enseignant·es du second degré) de prolonger le travail par une ou des recherches collaboratives, pour partir des questions et des impasses telles qu’elles se présentent dans les classes, et ré-élaborer/re-construire avec les enseignant·es la boite à outils dont eux et leurs élèves ont besoin –voire, pourquoi pas, élaborer avec eux le manuel ou l’usuel dont ils auraient besoin.
Jean-François Boutin
Je dois faire une digression vers la formation continue, parce que c'est trop tentant, c'est trop «alléchant». Je pense que chez nous, au Québec, on adhère encore trop fortement au mythe que la transformation des pratiques dans les milieux scolaires vient par la relève, donc par les enseignants qu'on forme à l'université. Et c'est ce qui fait qu'on délaisse complètement la formation continue alors que je suis de plus en plus convaincu que c'est par l'inverse qu'on pourra transformer. Il va falloir se donner les moyens et ça veut dire les sous notamment pour aller jouer sur les représentations, les pratiques des maîtres actuels qui ont 20, 25 ans, 30 ans de pratique derrière eux parce qu’il n'y a qu'une reproduction, il y a un élan, oui, initial, mais qui s'éteint très rapidement.
Je pense qu'on a besoin, il me semble en tout cas, de quatre approches que je vous propose. Je crois qu'on a besoin d'une approche inductive de la narratologie. Partons des pratiques de réception, production de la fiction narrative des élèves, comme je l'évoquais tout à l'heure, mais aussi partons des pratiques scolarisées, des pratiques qui sont bien inscrites dans les inscriptions officielles en français, qui sont liées à la narratologie. Il ne faut pas évacuer, au contraire, pour découvrir progressivement la boîte à outils de la narratologie rénovée. Ça a été fait chez nous au Québec en didactique de la grammaire. On a amené tout un pan du corps enseignant à changer son rapport à l'enseignement de la grammaire. On est passé, sous l'impulsion des travaux de Suzanne Chartrand, qui a vraiment milité fortement là-dessus, à une posture beaucoup plus inductive. Alors pourquoi pas la même chose pour la narratologie? Moi, en tout cas, je pense qu'on peut commencer dans un futur projet de recherche, dans un prolongement de dix ans, on peut commencer à penser à ça.
Autre chose, je pense qu'on a besoin d'une approche communautaire de la narratologie. Et là, je pense, là, j'évoque évidemment Stanley Fish et à son principe de communauté, d'interprétation. Je pense que ça a été évacué un peu trop rapidement pour toutes sortes de raisons, notamment idéologiques liées, par exemple, à la montée du socioconstructivisme. En tout cas, chez nous, il y a eu des réactions fortes. Ça a été mal compris aussi. Or, présentement, les jeunes se réseautent comme jamais. Le réseau, ce n'est même plus un concept, c'est une façon de vivre. Déployons cette forme d'échange par réseautage autour de notre rapport à la fiction. En tout cas, moi, je pense qu'il y a là une piste intéressante pour l'école.
Une autre piste qui me semble incontournable, c'est l'approche des imaginaires contemporains, telle qu'elle est promulguée par Bertrand Gervais, et qui permet d'ancrer assez paradoxalement la rencontre de la fiction narrative dans le réel. Cette rencontre-là, elle donne tellement de sens à l'expérience humaine et individuelle et je pense que de voir ça de façon un peu plus globale, de voir la fiction comme étant quelque chose qui appartient à un tout plus grand qui s'appellerait l'imaginaire collectif et l'imaginaire individuel. En tout cas, il y a là des pistes de réflexion très intéressantes. Je vous recommande notamment son dernier ouvrage, qui est paru et porte là-dessus.
Et je pense enfin et surtout, ça a été évoqué par Jean-Louis, ça a été évoqué par Nathalie, qu'on a besoin d'une approche disciplinaire diachronique de la fiction narrative. Depuis les années 1970, il y a eu plein de travaux en didactique de la littérature qui étaient novateurs, qui étaient progressistes, qui étaient respectueux aussi de la tradition, mais qu'on a malheureusement vu passer et qui, n'ayant plus la saveur du jour, sont progressivement disparus. Le plus bel exemple de cela, et moi ce qui me fâche le plus, ce sont les travaux en stéréotypie littéraire que Jean-Louis a menés, qui sont pour moi fondamentaux. Ça fait des années que je milite pour qu'on travaille davantage, au Québec, cette notion-là, comme d’ailleurs la notion de mimesis, et ça demeure sans écho. Pourtant, il y a des résultats empiriques, on a testé, ça fonctionne. Donc retournons voir en didactique de la littérature dans notre patrimoine de savoirs, de dispositifs et d'expériences, les choses qui peuvent vraiment fonctionner en contexte contemporain. Je pense que là, on peut penser à une intégration beaucoup plus naturelle de la narratologie, non plus comme discipline scientifique de la fiction, mais plutôt comme des clés qui nous permettent de mieux comprendre pourquoi on en a tant besoin au quotidien. Et quand je dis «nous », je pense aux jeunes et moins jeunes...
Et je dirais qu'ensuite, juste pour terminer, oui à la recherche-action, oui à la recherche collaborative. Par contre, c'est compliqué, c'est complexe. J'ai piloté une recherche où on avait huit projets qu'on accompagnait sur trois ans. On avait huit chantiers de collaboration, huit chantiers de recherche-action. On est parti des besoins des jeunes, on a développé des dispositifs avec les enseignants, on est allé les tester avec les élèves. Les enseignants avaient un statut de chercheur, ce qui était fantastique, et ça a donné de superbes résultats. Le problème, c'est que ça coûte une fortune au gouvernement, et là, je ne pense pas que nos états soient prêts à accentuer le nombre d'enseignants-chercheurs. Pourtant, à l'unanimité, les enseignants qui ont obtenu ce statut-là pendant trois ans, ont métamorphosé leurs pratiques professionnelles parce qu'ils étaient dans ce que Sonya [Florey] appelait ce matin un dialogue de circulation des savoirs et des pratiques. Je pense que ce serait une avenue fantastique, mais il va falloir qu'on milite pour des subsides. Je m'arrête ici, mais je veux juste saluer la richesse de la réflexion au terme du projet Di Narr, parce qu'il y a un rapprochement extrêmement fort qui s'effectue entre ce qu'on pourrait appeler des disciplines, peut-être qui ne semblent pas toujours si proches, mais qui l’ont fondamentalement toujours été.
Références citées
Dufays Jean-Louis (2010), Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire, Bruxelles, Peter Lang.
Halté, Jean-François (1998), «L'espace didactique et la transposition », Pratiques, n°97-98, p. 171-192. DOI: https://doi.org/10.3406/prati.1998.2485
Halté, Jean-François (1992), La didactique du français, Paris, PUF.
Pour citer l'article
J.-F. Boutin, N. Denizot, J.-L. Dufay, C. Gabathuler et R. Baroni, "La narratologie dans l’enseignement du français en Belgique, en France, au Québec et en Suisse romande", Transpositio, Conversations critiques, 2025http://www.transpositio.org/articles/view/la-narratologie-dans-l-enseignement-du-francais-en-belgique-en-france-au-quebec-et-en-suisse-romande
Comment un théoricien du récit pourrait-il contribuer à améliorer l’outillage narratologique scolarisé?
En tant que narratologue travaillant en contexte académique, je suis arrivé il y a quelques années à un point où il m’a semblé légitime, et même nécessaire, de me pencher sur l’utilité des notions théoriques élaborées et débattues dans mon domaine de recherche{{Cet article s’inscrit dans le projet «Pour une théorie du récit au service de l’enseignement» financé par le fonds national suisse (FNS n° 197612). Le groupe DiNarr, qui pilote ce projet, est dirigé par Raphaël Baroni et réunit également Vanessa Depallens, Luc Mahieu, Fiona Moreno et Gaspard Turin. Ce projet se fonde sur une enquête de terrain visant à cartographier les usages déclarés de la narratologie dans l’enseignement du français comme langue de scolarisation. Il vise également la création d’un site de ressources en ligne visant à faire évoluer l’outillage narratologique en répondant aux besoins des enseignants. Le projet inclut la collaboration de plusieurs partenaires dans le domaine de la didactique, dont plusieurs ont participé à ce numéro: Jean-François Boutin, Vincent Capt, Bertrand Daunay, Jérôme David, Nathalie Denizot, Jean-Louis Dufays et Chloé Gabathuler}}.
Comment un théoricien du récit pourrait-il contribuer à améliorer l’outillage narratologique scolarisé?
En tant que narratologue travaillant en contexte académique, je suis arrivé il y a quelques années à un point où il m’a semblé légitime, et même nécessaire, de me pencher sur l’utilité des notions théoriques élaborées et débattues dans mon domaine de recherche1. Il est en effet presque inévitable de se poser, à un moment ou à un autre de sa vie, la question de la valeur sociale de sa pratique professionnelle. Heureusement, si l’on en croit les travaux qui évoquent, depuis une trentaine d’années, le «tournant narratif» opéré dans les sciences sociales et les sciences humaines (Kreiswirth, 1992), on peut supposer que les notions narratologiques devraient être utiles pour un grand nombre de personnes impliquées dans des contextes sociaux variés. On constate en effet que la théorie du récit est souvent mobilisée dans les domaines du marketing et de la communication, mais aussi du droit, des sciences de l’éducation ou de la médecine, avec le retour des approches biographiques que l’on associe à l’empowerment et les théories concernant la dimension narrative de nos identités (Baroni, 2016a). Il semble néanmoins évident que la première utilité de la narratologie, du moins la plus visible socialement, réside dans l’outillage scolaire mis au service de l’étude des textes littéraires. Dans la formation obligatoire, la familiarisation avec les notions de focalisation, d’intrigue ou de narrateur passe en effet, dans les pays francophones du moins, par la classe de français, où cette «boite à outils» (Dawson, 2017) est non seulement mobilisée par les enseignants2, mais constitue aussi souvent un objet d’enseignement dès le collège en France, le premier degré du secondaire en Belgique et en Suisse, et le premier cycle secondaire au Québec.
Toutefois, un certain vertige existentiel saisit le narratologue soucieux de se mettre au service de la société civile quand il constate que cet outillage n’a pratiquement pas évolué en un demi-siècle, c’est-à-dire, précisément, depuis la parution de la «bible narratologique» (ou plus exactement du Livre de la Genèse de cette discipline) que constitue l’essai de Gérard Genette «Discours du récit», publié en 1972. Les institutions scolaires et la didactique du français auraient ainsi totalement ignoré les efforts consentis par celles et ceux qui ont tenté, au cours des dernières décennies, de faire évoluer la narratologie en la pensant au plus près des phénomènes verbaux, médiatiques, rhétoriques ou cognitifs qui sous-tendent les notions dégagées par les pères fondateurs3 de la discipline.
S’il fallait blâmer quelqu’un de cette indifférence à la théorie contemporaine, sait-on bien à qui il conviendrait d’adresser la critique? Est-il du devoir des enseignants ou des didacticiens d’aller traquer les actualités de la narratologie contemporaine mondialisée (c’est-à-dire anglicisée), quand cette discipline de recherche est à peine présente dans les formations initiales des pays francophones? Pour être tout à fait honnête, il faudrait ajouter que les théoriciens du récit se sont pour la plupart assez peu préoccupés des usages sociaux ou scolaires des notions dont ils débattent. Cette narratologie appliquée (comme il existe, en science du langage, un courant identifié comme relevant de la linguistique appliquée) reste ainsi souvent cantonnée dans les marges de la recherche, où elle consiste essentiellement, dans le droit fil de la critique platonicienne, à dénoncer (souvent à juste titre) les dérives d’un mécanisme de persuasion fondé sur la «contagion» ou la «séduction» (Salmon, 2007; Mäkelä et al., 2021; Brooks, 2022). La scolarisation de la théorie du récit semble quant à elle avoir presque toujours été exclue du champ de réflexion de la narratologie, comme si la théorie risquait de se dégrader au contact de son instrumentalisation scolaire. La tendance est plutôt à la dénonciation d’une approche réduite à une «boite à outil» (Dawson, 2017) ou à une critique condescendante et convenue du processus de scolarisation, dont certains estiment qu’il aurait transformé la théorie littéraire en une «petite technique pédagogique […] desséchante» (Compagnon, 1998, p. 11). Face à ce constat pour le moins discutable4, le risque serait d’en tirer la conséquence qu’aucune intervention significative orientée vers les milieux de l’éducation ne peut être envisagée, comme si les théoriciens avaient fait le job et que le «problème» émanait des milieux de la didactique ou de l’enseignement.
Ce constat de départ n’était à l’origine qu’une vague intuition, une hypothèse formulée par un narratologue qui avait été tenu éloigné de l’école obligatoire et post-obligatoire depuis plus de trente ans. Pour la confirmer ou l’infirmer, il fallait entreprendre une vaste enquête de terrain, ce qui impliquait de trouver des fonds permettant de recruter une équipe de recherche. Les fonds réunis, il a fallu conduire des dizaines d’entretiens avec des enseignants du secondaire I et II dans quatre pays francophones (la Suisse, la Belgique, la France et le Québec), ces données étant recoupées par un questionnaire en ligne auquel ont répondu plus de cinq cents enseignants de français5. Après un premier défrichage de ces données, le constat est bien là: la narratologie est toujours enseignée et parmi les notions les plus fréquemment mobilisées, on retrouve sans surprise les différentes instances de la narration, le point de vue, la focalisation, le schéma narratif ou quinaire, l’intrigue, l’analepse et l’ellipse.
Ajoutons, ce point est crucial, que les questionnaires et les entretiens semi-directifs font également ressortir le fait que certaines notions, bien que régulièrement mobilisées dans l’enseignement, sont jugées problématiques, que ce soit au niveau de leur transmission ou en raison de difficultés dans leur maniement par les élèves. Il s’agit en particulier des notions de focalisation, de point de vue et les distinctions entre différents types de narrateurs (homo-, hétérodiégétiques). Il est également intéressant de constater que suivant la terminologie employée, les difficultés ne sont pas les mêmes. Par exemple, les questionnaires analysés par Luc Mahieu montrent que les enseignants mobilisant la notion de focalisation rencontrent plus de difficultés que ceux mobilisant la notion de point de vue; la différence est encore plus marquée quand on compare les notions de narration à la première ou à la troisième personne (jugées peu problématiques) avec les notions de narrateur homo- ou hétérodiégétiques, jugées plus ardues, alors qu’elles renvoient plus ou moins aux mêmes phénomènes.
Trouver des fonds, mettre en place une enquête de terrain et analyser les données prend du temps. Trois années après sa crise existentielle, le narratologue est donc arrivé à ce constat qui ne fait que soulever de nouveaux dilemmes à mesure qu’il prend conscience, avec son équipe de recherche, de la complexité du domaine dans lequel il a eu l’impudence de s’aventurer. La question se pose ainsi en ces termes: sur la base de cet état des lieux, est-il possible d’intervenir pour tenter d’améliorer l’outillage narratologique mobilisé dans l’enseignement du français? Cette première interrogation entraine de nombreuses questions subsidiaires: que signifie améliorer l’outillage narratologique en contexte scolaire? Un narratologue est-il seulement apte à saisir les enjeux d’une narratologie scolarisée? Est-il légitime pour suggérer telle ou telle amélioration? Comment pourrait-il intervenir pour que ses suggestions aient la moindre chance de modifier les pratiques scolaires? Ne vaudrait-il pas mieux limiter ses ambitions à une approche purement descriptive de la narratologie scolarisée plutôt que de tenter d’agir sur la base de ce constat?
Derrière ces interrogations, il y a de nombreux enjeux qui dépassent le domaine de la narratologie. Critiquer les amalgames conceptuels inhérents à la théorie genettienne de la focalisation (Jost, 1989; Jesch & Stein, 2009; Niederhoff, 2009; Baroni, 2023a) ou souligner les angles morts du schéma narratif quand il s’agit de saisir la dimension rhétorique de la mise en intrigue (Baroni, 2017a) ne vous permet en aucun cas de conclure que l’analyse stylistique de la construction textuelle du point de vue ou l’étude des mécanismes présidant à la création de la tension narrative constitueraient des approches plus intéressantes pour aborder les textes littéraires dans le contexte scolaire d’un enseignement du français. On pourra par exemple opposer l’argument que le schéma narratif est un excellent outil pour construire des compétences en lecture au niveau du primaire, où la compréhension de la chronologie des événements et des liens de causalité entre les actions est un enjeu essentiel. Ce schéma constitue par ailleurs une aide efficace pour élaborer les grandes lignes d’une histoire dans une activité visant la production d’un récit cohérent et complet. Quant à la focalisation, en dépit des difficultés liées à son maniement, cette notion incontournable de l’explication de texte est un outil fortement «discipliné» et «sédimenté» dans les pratiques scolaires (Ronveaux & Schneuwly, 2018). On peut ainsi faire l’hypothèse que la constitution progressive d’une «culture scolaire» (Denizot, 2021, p. 191) – avec ses relais habituels: plans d’étude et manuels, mais aussi échanges informels entre pairs, création et transmission de moyens d’enseignement, etc. – compense largement les éventuels défauts de la théorie et font obstacle à toute velléité de réforme qui serait imposée de l’extérieur. Enfin, c’est la pertinence même de la narratologie comme outil scolaire qui peut être contestée, notamment par les milieux de la didactique qui l’assimilent parfois à des «dérives technicistes» (Langlade, 2004, p. 85), de sorte qu’une évolution des pratiques devrait, aux yeux de certains, conduire à un abandon pur et simple de l’outillage narratologique plutôt qu’à son perfectionnement6.
Bref, un narratologue n’est pas forcément la personne la mieux placée pour fournir l’impulsion qui pourrait faire évoluer la théorie enseignée et le danger est grand que ses suggestions en la matière apparaissent totalement infondées, car déconnectées des réalités du terrain et des enjeux disciplinaires qui constituent la réalité quotidienne des enseignants. Dans le pire des cas, on pourrait même le suspecter de vouloir faire du prosélytisme pour assurer une postérité à son œuvre ou à sa chapelle.
En dépit de ces limitations évidentes, il me semble malgré tout possible de souligner la nature spécifique de ce que pourrait être la contribution d’un théoricien du récit à une élaboration didactique de l’outillage narratologique. Tout d’abord, rappelons que la scolarisation de la narratologie a été en grande partie le résultat de l’enthousiasme spontané des enseignants eux-mêmes, qui ont embrassé cette approche renouvelée des textes littéraires à une époque où la théorie du récit bénéficiait d’une grande visibilité sociale7. On peut donc supposer que le décalage entre la narratologie enseignée et la théorie du récit contemporaine est dû en grande partie à la perte de visibilité de ce champ de recherche en constante évolution, raison pour laquelle je ne manque jamais une occasion de répéter un mantra: la narratologie n’est pas et n’a jamais été un moment structuraliste de la théorie littéraire. Si l’affirmation peut surprendre, elle invite surtout à dépasser un aveuglement (ou une invisibilité, suivant l’angle adopté) qui conduirait à une naturalisation ou un figement des concepts enseignés.
Le premier devoir du narratologue devrait donc être de prendre son bâton de pèlerin et de rappeler, dans le domaine de l’éducation et de la didactique, que la théorie du récit est née d’un intérêt pour toutes les formes médiatiques de la narrativité (pas seulement pour la littérature8), qu’elle est toujours bien vivante et que ses évolutions récentes sont porteuses de potentiels pour l’enseignement du français. Le travail de scolarisation pourrait alors reposer essentiellement, comme ce fut le cas il y a une quarantaine d’années, sur les épaules d’enseignants ou de didacticiens curieux et désireux d’explorer ces nouveaux outils susceptibles de répondre à leurs besoins. Porter cette parole ne va cependant pas sans difficultés, car la perte de visibilité de la narratologie est également sensible dans un contexte académique en crise, qui continue d’accorder le privilège aux approches historiques. Il s’agit donc d’intervenir aussi bien dans le domaine de la formation initiale des enseignants, en luttant sur le terrain des études académiques pour défendre la place des approches théoriques de la narrativité et de la fiction, que d’agir par le biais de formations continues en collaborant aussi étroitement que possible avec les lieux de formation pédagogiques.
Une autre raison qui pourrait justifier l’intervention d’un narratologue est lié à un aspect plus symbolique, à savoir l’extrême déférence envers quelques figures titulaires de la narratologie, en particulier Gérard Genette. Les entretiens que nous avons menés dans la phase préparatoire de notre enquête ont souvent fait ressortir la forte impression laissée par la lecture de Figures III, voire le fait que cette référence est la seule qui soit encore proposée dans le parcours de formation des enseignants, et parfois dans celle des élèves sous la forme d’extraits choisis:
J’étais une enthousiaste de la narratologie, j’étais éblouie par Figures III – j’ai fait mes études dans les années 80, hein, donc c’était vraiment une découverte géniale, et puis peut-être… pas une facilité, mais quelque chose qui est rassurant, qui est assez rassurant pour le prof.
Je connais les outils de Genette, principalement, et s’il y a eu de nouvelles choses, enfin tout ce qui vient après, je suis assez ignorant, parce que ma formation à l’université était, il me semble, surtout centrée là-dessus, en narratologie9.
L’indéniable puissance descriptive de ce modèle théorique et l’élégance du style de son auteur10 risquent ainsi d’induire une attitude de déférence excessive envers les typologies genettiennes, qui ont été largement adoptées par les milieux scolaires, tout en engendrant parfois des difficultés interprétatives liées à des phénomènes mal circonscrits ou abordés exclusivement dans une perspective classificatoire, en laissant dans l’ombre une réflexion sur les fonctions discursives des dispositifs identifiés. Or, s’il partage la même admiration, le narratologue sait quant à lui qu’il n’y a pas une seule notion introduite par Genette dans cette œuvre majeure qui n’ait fait l’objet de critiques ou de débats, parfois assez féroces11. Son rôle pourrait alors être de rappeler cette évidence: les typologies genettiennes ne représentent qu’un état de la question, une approche des phénomènes narratifs parmi d’autres concurrentes, et il n’est pas absolument certain qu’elle soit toujours la plus efficace quand il s’agit de discuter dans la classe de français du statut du narrateur, du régime de focalisation, de la construction temporelle d’un récit ou de sa mise en intrigue.
Il ne s’agit pas ici de céder à un simple effet de mode, mais simplement rappeler le statut historique de toute notion théorique et la nécessité de penser l’outillage scolaire au plus près de ses finalités et de ses usages. Le rôle essentiel d’un chercheur qui s’inscrit dans le champ de la narratologie consiste alors à rappeler que sa discipline est perfectible et que personne, aussi charismatique soit-elle, ne peut prétendre avoir élaboré un modèle définitif et parfait de la narrativité (ce qui serait un cas unique dans l’histoire des sciences humaines). Il y a toujours moyen de saisir le phénomène sous un autre angle, d’en révéler des aspects différents, voire de mettre au jour des problèmes de conceptualisation et des manières plus exactes (ou, disons, plus intéressantes, c’est-à-dire utiles) de rendre compte du fonctionnement d’un récit.
Un narratologue pourrait ainsi s’adresser aux usagers de sa boite à outils en leur prodiguant quelques conseils: par exemple si vous cherchez un outil qui vous permette de montrer comment le langage verbal produit un effet de subjectivation de la représentation en ancrant un récit dans le point de vue d’un personnage, alors vous feriez peut-être mieux de recourir à la conceptualisation stylistique de ce phénomène que propose Alain Rabatel (1998) plutôt que de vous appuyer sur la triple focalisation telle que définie par Gérard Genette. En revanche, si vous voulez montrer comment un récit peut créer un effet de suspense en informant le lecteur d’un danger ignoré par le protagoniste, ou comment il peut, alternativement, susciter de la curiosité en mettant en scène un personnage détenant des secrets, alors la typologie genettienne sera la plus efficace. Et si vous voulez jouer sur les deux tableaux, alors rien ne vous empêche d’articuler ces deux approches très différentes, mais peut-être aurez-vous alors besoin de recourir à une synthèse de ces deux modèles. Et si le besoin se fait sentir d’élargir la réflexion à la représentation de la subjectivité dans d’autres médiums que le texte littéraire, alors le cadre conceptuel offert par la narratologie transmédiale sera probablement le plus approprié, ce qui exigera quelques efforts de décentration des modèles logocentriques hérités du structuralisme (Baroni, 2016a).
Ce qui est en revanche assez questionnant pour un narratologue, c’est de constater que l’enseignement de la perspective narrative puisse avoir été identifiée depuis des lustres, par les enseignants aussi bien que par les didacticiens12, comme posant problèmes, sans que les ressources pour y remédier, pourtant disponibles depuis plusieurs décennies, ne soient mobilisées. Ce questionnement ne met pas en cause l’attitude des enseignants – qui remédient souvent, avec beaucoup d’ingéniosité, aux défauts de la théorie dont ils ont hérité durant leur formation initiale – ni celle des didacticiens – auxquels il n’est pas demandé de transposer les dernières théories à la mode, mais de décrire les pratiques effectives et de mettre au jour leurs logiques propres –, mais il invite surtout les narratologues eux-mêmes à s’impliquer dans les débats portant sur les usages scolaires de leurs modèles théoriques pour tenter de trouver des solutions pragmatiques en échangeant avec les acteurs qui président à la scolarisation des savoirs disciplinaires, qu’il s’agisse de praticiens, de formateurs, de prescripteurs ou de créateurs de manuels...
Reste qu’il n’est pas facile de cibler les objets pour lesquels une intervention est nécessaire, ni de définir précisément comment on passe de la réélaboration d’une théorie à sa mise au service de l’enseignement. Sur ce dernier point, il me semble que l’effort que devrait fournir le narratologue – parmi d’autres interventions émanant des enseignants, des didacticiens, des prescripteurs, etc. – consiste à penser la manière dont une notion théorique, généralement instable et soumise aux débats contradictoires de sa discipline, est susceptible de se transformer en outil-concept pour l’enseignement, de sorte que sa définition et sa dénomination se stabilisent (au moins provisoirement) tout en se soumettant à une finalité explicitement liée à des usages déterminés par des enjeux disciplinaires (Schneuwly, 2000; Reuter, 2013).
Ce processus qui conduit de la notion théorique à l’outil-concept pour l’enseignement dépend d’une élaboration didactique qui ne peut reposer entièrement sur les épaules du narratologue, dans la mesure où son action doit être orientée par des enjeux externes à son champ de recherche. Il ne s’agit pas d’un processus descendant qui consisterait à simplifier des savoirs de référence pour les rendre assimilables en contexte scolaire. Il s’agit, au contraire, de partir des besoins du terrain, de l’identification de manques ou de difficultés, pour fournir ensuite des solutions basées sur des outils-concepts forgés sur mesure pour des usages scolaires avérés. Il faut également être à l’écoute des solutions construites par les enseignants eux-mêmes et rester ouvert à des réélaborations conceptuelles ou des reconfigurations terminologiques fondées sur leurs expériences.
Quant à la manière de cibler les objets concernant lesquels une intervention est prioritaire, plusieurs voies sont possibles. La plus simple consiste à demander aux enseignants quels éléments de l’outillage narratologique leur paraissent incontournables tout en leurs posant des difficultés. Si ces difficultés ont aussi été identifiées dans les théories de référence et si des alternatives existent, alors une didactisation de ces nouveaux modèles pourrait être proposée, tout en portant attention aux solutions élaborées sur le terrain, quand ces dernières existent. En ce sens, il pourrait aussi être utile d’interroger les enseignants sur le rendement qu’ils attribuent à tel ou tel aspect du récit, avec parfois des jugements assez contrastés, à l’instar de ces deux enseignants:
Je trouve que… un premier aspect, celui qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est ce que fait Propp ou le schéma quinaire, c’est à dire qu’ils permettent de… la théorie permet d’aiguiller un nombre très important voire la majorité des œuvres. Parce que c’est applicable – le schéma du conte, il est applicable à la majorité des contes. Donc ça tout d’un coup, c’est intéressant, parce que c’est une théorie qui résume, en fait, et qui est applicable après dans la majorité des textes.
Alors le schéma narratif, mais j’en ai soupé, franchement. Ils [les élèves] en tirent rien…13
Dans ce cas, on constate qu’une notion dont l’intérêt repose sur son applicabilité à une très grande diversité de récits peut contraster avec la difficulté, pour une autre enseignante, d’en saisir l’intérêt lorsqu’elle est mise au service de l’interprétation. Dans ce cas, le rôle du narratologue pourrait être de signaler l’existence de modèles alternatifs, et de montrer quels usages potentiels peuvent en être tirés pour l’interprétation des récits. Si l’activité consiste à mettre en lumière une parenté entre un grand nombre de récits, ou de favoriser l’activité de «résumé», alors le «schéma quinaire» semble particulièrement approprié. En revanche, s’il s’agit de montrer comment un récit s’y prend pour nouer son intrigue et pour intéresser le lecteur, alors d’autres conceptualisation que le «schéma narratif» pourraient être proposées, à l’instar de l’approche de la mise en intrigue sous l’ange des mécanismes textuels présidant à la création de la «tension narrative» (Baroni, 2017a). Étant informés de ces alternatives, les enseignants pourraient simplement choisir le modèle le plus approprié aux finalités qui sont les leurs, et qui peuvent d’ailleurs différer sensiblement aux différents degrés de la scolarité et en fonction des objectifs de telle ou telle phase du cours.
Un autre aspect spécifique, déjà évoqué plus haut, concerne la question de l’élargissement des corpus étudiés au-delà des textes littéraires, et même au-delà des formes assimilables à une narrativité dite «monomodale» (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2015). Sur ce plan, des enseignants amenés à aborder en classe un récit en bande dessinée peuvent se découvrir passablement désarmés face à la narrativité des récits graphiques. S’ils peuvent avoir tendance à se rabattre sur des notions narratologiques bien huilées, il n’est pas sûr qu’une typologie des narrateurs ou un modèle textualiste de la construction d’un point de vue se révéleront efficaces pour analyser une planche (cf. Schaer, 2023). Un effort de réarticulation transmédiale des notions narratologiques et la mise en évidence des effets des supports sur la forme des récits pourraient ainsi s’avérer nécessaire dès le stade de la formation initiale des enseignants.
Par ailleurs, s’il est relativement facile d’identifier les outils devenus incontournables, ceux qui se sont profondément ancrés dans les pratiques scolaires depuis des décennies quels que soient les difficultés inhérentes à leur maniement, il est en revanche beaucoup plus difficile de définir ceux qui font encore défaut, c’est-à-dire ceux qui manquent au répertoire des enseignants, sans que ces derniers n’en aient forcément conscience. Ainsi, quand on les interroge sur les lacunes de la théorie narrative, certains enseignants ne peuvent que se questionner sur l’existence de notions hypothétiques, à l’instar de cet enseignant:
Je pense qu’une grande difficulté des élèves, c’est l’ironie. De comprendre des fois les distances que l’auteur crée avec ou entre son personnage, ou le fait qu’il faut pas prendre de manière littérale… Alors je pense que s’il y avait des outils pour comprendre ce genre de distances, ça m’aiderait beaucoup14.
Une manière simple d’élargir le domaine des outils-concepts dont la valeur scolaire est plus ou moins garantie pourrait consister à élargir le spectre de l’enquête de terrain à des enseignements qui s’inscrivent dans d’autres langues ou cultures, dont certaines s’appuient sur des traditions narratologiques très différentes mais aussi durablement ancrées dans les pratiques scolaires. Les enseignants de français ignorent souvent que l’outillage narratologique de leurs collègues anglophones ou germanistes diffère profondément du modèle genettien, lequel parait si familier qu’il a fini par se naturaliser. À côté des narrateurs homo- ou extra-hétérodiégétiques, il existe ainsi des personnages-réflecteurs, des narrateurs auctoriaux ou non fiables, et même des auteurs implicites, qui font partie de la vulgate enseignée dans la formation initiale des enseignants d’allemand ou d’anglais15. Ce n’est pas le moindre des résultats de notre enquête que d’avoir constaté par exemple que les notions d’auteur implicite et de narrateur non fiable – qui permettent précisément de décrire les effets d’«ironie» ou de «distance» évoqués par l’enseignant que nous avons interrogé – sont pratiquement inconnues des enseignants de français dans les quatre pays que nous avons investigués, alors que cette approche est au cœur de la théorie anglo-saxonne initiée par les travaux de Wayne C. Booth (1983; 1977). Serait-il possible que les narrateurs francophones soient plus fiables que les autres? La question de la proximité ou de la distance entre les valeurs portées par l’écrivain et celles incarnées par son narrateur ou ses personnages serait-elle moins intéressante quand on lit Flaubert que quand on lit Nabokov? Il me semble qu’un tel décalage culturel mériterait pour le moins d’être identifié et problématisé dans la formation initiale ou continuée des enseignants.
Sur la base de ces différentes stratégies, il me semble possible de dégager quelques pistes susceptibles d’améliorer l’ergonomie de l’outillage narratologique pour le mettre véritablement au service des besoins des enseignants et des élèves. Sans entrer dans le détail de propositions encore en chantier, je dresserai ci-dessous un inventaire provisoire de quelques lieux d’intervention susceptibles de renouveler la narratologie scolaire en répondant aux besoins du terrain. Sans surprise, on retrouvera les grandes catégories narratologiques dont l’ancrage scolaire est le plus fort, notamment les catégories genettiennes de la voix (problématiques liées à la figure du narrateur), du mode (problématiques liées à la perspective narrative) et du temps (reconfiguration temporelle de l’histoire par le récit), mais aussi les notions d’intrigue et de personnage, qui entrent en correspondance avec certains des schémas la plus enseignés («schéma narratif» de Larivaille et «schéma actantiel» de Greimas). Pour chaque catégorie, j’indiquerai quelques évolutions possibles, en les associant à quelques références incontournables et, quand cela est possible, à des synthèses de ces travaux que j’ai proposées en vue d’en faciliter la scolarisation:
- Narrateur: en ce qui concerne la catégorie du narrateur, il pourrait être utile de considérer cette instance comme un élément optionnel du récit (Patron, 2009). Non seulement un film ou une bande dessinée peuvent s’en passer complètement, mais un récit mené à la troisième personne peut également faire l’économie d’un narrateur «scénographié» par le discours (Maingueneau, 2004). Le travail sur les traces énonciatives que laisse un éventuel narrateur permettrait de mieux articuler l’analyse de cette instance narrative avec ses manifestations verbales ou médiatiques. Définir le mode énonciatif du récit en s’appuyant sur les personnes de la narration (narration à la première personne vs. à la troisième personne, mais aussi éventuellement narration à la deuxième ou à la quatrième personne) pourrait aussi permettre de mieux saisir les spécificités de différentes manières de raconter. De toute évidence, la dichotomie entre intra- et extradiégétique est plus ou moins inenseignable en raison des confusions avec la dichotomie homo- et hétérodiégétique, alors que la notion d’enchâssement semble ne poser aucun problème conceptuel particulier. La question des «niveaux narratifs» devrait plutôt orienter la discussion sur les effets de transgression de ces niveaux liés par la figure de la «métalepse», aussi fréquente dans la littérature d’Ancien Régime ou contemporaine que dans la culture populaire (Wagner, 2002; Schaeffer & Pier, 2005; Klimek & Kukkonen, 2011; Lavocat, 2020). Par ailleurs, en se basant sur l’approche de Booth (1977), il pourrait être très productif d’introduire la problématique de la fiabilité du narrateur, et plus généralement, celle de la distance entre un auteur implicite, parfois ironique, et les différentes instances mises en scène par le récit (narrateurs et personnages), notamment pour aborder la littérature contemporaine (Wagner, 2016).
- Perspective (mode): Comme l’ont montré différents chercheurs (Jost, 1989; Paveau & Pecheyran, 1995; Niederhoff, 2001; Jesch & Stein, 2009; Baroni, 2021; 2023a), la focalisation genettienne semble particulièrement difficile à enseigner ou à manipuler pour analyser des récits, car sa théorisation amalgame des paramètres hétérogènes: a. les ancrages éventuels dans la subjectivité de différents personnages; b. des enjeux relevant d’une stylistique dite «de l’omniscience», face aux narrations dites «béhavioristes» ou «en flux de conscience»; c. l’orientation sélective du récit sur différentes parties prenantes de l’histoire et ses effets (empathie, focalisations multiples, etc.); d. l’extension du savoir mis à disposition du public quand on le compare à ce que savent différents personnages, dont dépendent différents effets de curiosité ou de suspense. D’un côté, pour faciliter les étayages interprétatifs par la mise en évidence d’indices formels, il pourrait être utile de mieux expliciter les procédés qui produisent un ancrage du récit dans la subjectivité d’un personnage, ce que Rabatel désigne comme la «construction textuelle du point de vue» (Rabatel, 1998) et ce que Jost (1989) rattache aux procédés audiovisuels d’ocularisation et d’auricularisation. Sur ce plan, il pourrait être utile également de sensibiliser les élèves aux spécificités médiatiques de ces processus de subjectivation de la représentation, par exemple en procédant à des comparaisons intermédiales entre cinéma et littérature, ou entre bande dessinée et littérature (Jost, 1989; Baroni, 2023a). Il peut aussi être utile de souligner les rapports étroits que l’on peut établir entre la dynamique de l’intrigue et différents régimes de savoir (restreint, équivalent ou élargi) ou de subjectivité (Baroni, 2017a; 2020a).
- Temps: les catégories liées au temps pourraient également être mieux articulées aux expériences immersives des lecteurs ou des spectateurs. En ce qui concerne les anachronies, on pourrait ainsi mieux distinguer, comme dans les études cinématographiques, le flashback (ou analepse «dramatisée») de l’analepse allusive (simple évocation du passé par un personnage ou par le narrateur), ainsi que les procédés stylistiques qui permettent un réancrage du récit dans le passé (Baroni, 2016b). On éclairerait ainsi une asymétrie entre l’analepse et la prolepse, cette dernière se limitant le plus souvent à une simple allusion à un futur possible ou avéré. Si le récit consiste bien à «monnayer un temps dans un autre temps» (Metz, 2013, p. 31), c’est surtout autour des anachronies «dramatisées» (flashbacks et flashforwards) ainsi que des changements de rythmes dans le récit que cette propriété des artefacts narratifs peut être explorée. L’opposition entre scène et sommaire devrait également être repensée sur la base de l’expérience immersive: tandis que la scène est une représentation qui nous replace dans la perspective temporelle de l’événement raconté, le sommaire se manifeste au contraire comme une narration distanciée, qui n’offre pas de points d’ancrage pour se représenter les événements dans l’actualité de leur développement (Baroni, à paraitre). Des travaux récents invitent aussi à repenser la question du «rythme» en se fondant sur les effets d’accélération et de ralentissement qui découlent d’une certaine organisation formelle du récit. Kathryn Hume a ainsi montré qu’un effet d’accélération du roman contemporain peut, paradoxalement, découler d’un effacement des sommaires (Hume, 2005), similaire à une succession rapide de plans courts dans le montage d’un film.
- Intrigue: le succès scolaire de la notion de schéma narratif fait écran à des formes alternatives d’organisation séquentielles des récits. Ce découpage de l’histoire en cinq phases, dérivé des travaux de Paul Larivaille (1974) et popularisé par la linguistique textuelle de Jean-Michel Adam (1997), demeure de toute évidence très utile pour soutenir des opérations de compréhension ou de résumé, ainsi que pour structurer la production de récits en donnant un cadre pour déterminer les actions principales qui constitueront la trame de l’histoire. En revanche, l’approche par la mise en intrigue permet de saisir des procédés narratifs visant à créer une tension dans la lecture (Baroni, 2017a; 2020b), offrant ainsi une approche susceptible d’articuler l’analyse des mécanismes textuels, graphiques ou audiovisuels avec la production d’un intérêt narratif. Il importe donc de clairement différencier trois manières très différentes d’envisager la séquence narrative: 1. comme trame de l’histoire (schéma narratif); 2. comme passage narratif contrastant, par exemple, avec la description ou le dialogue (séquence textuelle); 3. comme mise en intrigue par la création d’une tension lorsque le public progresse dans le récit (Baroni, 2020a; 2023b). Étudier la mise en tension du récit permet non seulement d’éclairer les actions racontées, mais aussi de mesurer leur valeur en les comparant avec les virtualités qui se dégagent du fil de l’histoire. Les possibles narratifs engagent non seulement un désir de progression vers le dénouement, mais ils soulèvent aussi des enjeux éthiques pour les personnages engagés dans des événements inextricables (Laugier, 2006; Baroni, 2023b).
- Personnage: il ne fait guère de doute que les personnages ne sauraient se limiter aux rôles actantiels qu’ils endossent dans l’intrigue. Parmi les pistes les plus intéressantes, il y a naturellement l’approche de Vincent Jouve sur l’effet du personnage, qui ménage une place fondamentale aux fonctions de support pulsionnel et d’identification (Jouve, 1992). Un cadre conceptuel potentiellement productif pour l’enseignement pourrait aussi être emprunté aux travaux du narratologue américain James Phelan, qui distingue trois fonctions fondamentales pour les personnages: la fonction mimétique (épaisseur, crédibilité du personnage envisagé comme personne), la fonction synthétique (prise en compte du rôle du personnage dans l’intrigue, lequel recouvre, entre autres choses, les rôles actantiels) et la fonction thématique (le personnage en tant que porteur de valeurs ou de symboles) (Phelan, 1989). D’une manière générale, il peut être utile de rappeler que l’épaisseur, mais aussi la relative opacité ou l’imprévisibilité d’un personnage sont des éléments essentiels de l’intérêt qu’on leur porte (Baroni, 2017a, p. 85-90; 2017c). Enfin, c’est évidemment en prenant le personnage au sérieux, c’est-à-dire en le considérant comme étant davantage qu’un simple «signe», qu’il devient possible de lui associer des enjeux de nature éthique, restituant ainsi à l’interprétation des formes narratives son plein potentiel pour une «éducation morale» (Laugier, 2006).
Si l’une ou l’autre de ces propositions devait susciter l’intérêt des enseignants, il faudrait alors procéder à une conceptualisation des propositions théoriques jugées en phase avec les finalités de l’enseignement du français, c’est-à-dire à une réduction du caractère instable de notions encore débattues dans le champ de la narratologie de manière à en fixer la terminologie et à produire des définitions intelligibles pour les élèves. Il y a de fortes chances que ce travail d’élaboration didactique soit le fait des enseignants eux-mêmes, pour autant qu’ils estiment que l’effort en vaut la chandelle. Ils sont en effet les mieux placés pour répondre, par exemple, aux questions relatives aux progressions curriculaires: faut-il commencer en fournissant des outils spécifiquement profilés pour l’enseignant, de sorte que ce dernier soit en mesure de sensibiliser les élèves aux enjeux narratologiques dès les premiers cycles, sans pour autant faire de ces outils des objets d’enseignement? Faut-il envisager des terminologies différenciées entre les degrés du secondaire 1 et du secondaire 2? Quel sont les outils-concepts les plus essentiels, ceux qu’il faudrait introduire en premier et ceux qui devraient être abordés ultérieurement? La métalepse et la narration à la deuxième personne doivent-ils être enseignés avant le stade de la formation post-obligatoire ou académique?
Du côté du narratologue, le problème tient surtout à la manière de faire entendre ses propositions, ce qui passe avant tout par la défense de la place de la théorie du récit dans la formation initiale et continuée des enseignants. Il faudrait également pouvoir entamer un dialogue autour des prescrits, proposer de nouveaux manuels, impliquer didacticiens et enseignants pour élaborer et mettre à l’épreuve de la classe ces nouveaux outils-concepts et évaluer leurs effets sur la formation des élèves. J’ajoute que cette épreuve du terrain est une chance extraordinaire pour la théorie elle-même, dans la mesure où les modèles narratologiques, la plupart élaborés dans une démarche purement hypothético-déductive, ont trop rarement été confrontés à des tests empiriques, de sorte que leur validité demeure le plus souvent douteuse. Pour ma part, c’est souvent lorsque j’étais confronté à ma perplexité d’enseignant ou aux résistances de mes étudiants que j’ai réalisé la nécessité de faire évoluer la théorie (je précise: faire évoluer non seulement la théorie enseignée, mais la théorie elle-même, dont on découvre les aspérités). Ainsi que le suggère Karl Canvat, le renouvellement des modèles narratologiques pourrait donc bien impliquer une confrontation plus étroite avec les pratiques scolaires:
L’applicationnisme est la forme que prend ordinairement la transposition didactique lorsqu’elle adopte un mouvement descendant. L’implicationnisme est la forme qu’elle prend lorsqu’elle injecte dans les savoirs enseignés de nouveaux savoirs issus des savoirs de référence, mais aussi qu’elle met ces nouveaux savoirs en relation avec les pratiques scolaires, voire que celles-ci interrogent les savoirs de référence et les incitent à se renouveler. (Canvat, 2000, p. 64)
Par ailleurs, le théoricien du récit ne peut demeurer entièrement sourd aux critiques qui ont été formulées envers sa discipline, parfois mêmes relayées par certains narratologues de la première heure (Todorov 2007); mais plutôt que de se défendre en affirmant qu’il serait dommage de «jeter le bébé avec l’eau du bain» (Reuter, 2000, p. 7), il pourrait être intéressant de tenter de mieux comprendre ce qui constitue la résilience de l’appareil narratologique en dépit des reproches qui lui sont adressés depuis une bonne vingtaine d’années16. En outre, il faudrait explorer les éventuelles convergences observables entre l’évolution de la didactique du français et les changements qui ont affecté parallèlement la théorie du récit, qui se présente aujourd’hui sous une forme assez éloignée du modèle structuraliste. Cette comparaison pourrait ainsi faciliter le repérage des modèles théoriques en phase avec les enjeux actuels de l’enseignement du français, que ce soit en mettant en lumière les mécanismes qui président aux expériences immersives, esthétiques et éthiques des lecteurs, en montrant comment l’étude des textes narratifs permet de mieux comprendre le fonctionnement du langage verbal ainsi que celui d’autres médias (le théâtre, la bande dessinée, le cinéma, voire le jeu vidéo…), ou qu’il s’agisse simplement de contribuer à un enseignement explicite, l’outillage narratologique ayant au moins la vertu d’objectiver les procédures par lesquelles il est possible d’interpréter un texte narratif.
Je pense que sans un changement profond de la réputation de la narratologie dans les domaines des études littéraires, de la didactique et de l’enseignement du français, tout changement de fond demeurera impossible. L’image figée d’une discipline qui a fait son temps, continue souvent de faire obstacle à l’exploration du potentiel des modèles actuels. Seule la construction d’un véritable dialogue interdisciplinaire fondé sur la reconnaissance de l’existence d’une narratologie contemporaine (qu’on acceptera d’appeler «postclassique» si cela contribue à faire comprendre qu’il existe autre chose que les typologies structuralistes des années 1960-1970) pourra ouvrir un horizon pour une amélioration de l’outillage narratologique dans la classe de français. Pour terminer sur une note optimiste, on peut entrevoir un signe encourageant dans le fait que la 24ème rencontre des chercheurs en didactique de la littérature ait récemment choisi comme thématique «les territoires de la fiction», son appel à contribution mentionnant trois fois la narratologie, non pour en dénoncer des dangers, mais pour envisager l’apport des «outils de la narratologie post-classique».
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Pour citer l'article
Raphaël Baroni, "Comment un théoricien du récit pourrait-il contribuer à améliorer l’outillage narratologique scolarisé?", Transpositio, n°6 Les outils narratologiques pour l'enseignement du français : bilan et perspectives, 2023http://www.transpositio.org/articles/view/comment-un-theoricien-du-recit-pourrait-il-contribuer-a-ameliorer-l-outillage-narratologique-scolarise
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