Dans ce numéro consacré au rapport entre didactique et bande dessinée, la réflexion que nous allons présenter se situe dans le champ du français langue étrangère (FLE) avec une perspective historique. Nous nous poserons la question de savoir quelle est et quelle a été la place de la BD dans l’enseignement du FLE, et nous nous demanderons en particulier quel(s) rôle(s) elle a joué en relation avec les méthodologies dans lesquelles elle s’insère. Pour répondre à ces questions on cherchera à retrouver dans les manuels de FLE les traces de son exploitation et à étudier son évolution, de manière à se faire une idée des changements de représentations et de pratiques dans le discours méthodologique.
- n°1 Justifier l’enseignement de la littérature
- n°2 La circulation des savoirs: entre recherches et pratiques enseignantes
- n°3 Formes de la circulation entre recherches didactiques et pratiques enseignantes de la littérature
- n°4 Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature
- n° 5 "Le Long voyage de Léna" : regards croisés sur une bande dessinée
- n°6 Les outils narratologiques pour l'enseignement du français : bilan et perspectives
- n° 7 Le texte littéraire à l'épreuve de l'image
- Sylviane Ahr - Entretien : "disputes" et justifications de l'enseignement de la littérature
- Bertrand Daunay - Recension : Baroni Raphaël (2017), "Les Rouages de l’intrigue"
- Judith Émery-Bruneau - D’un paradigme interprétatif à un paradigme critique : prolégomènes à une transformation des recherches en didactique de la littérature
- La scolarisation de la narratologie vue par quelques grands témoins
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La bande dessinée dans les manuels de FLE (1919-2020)
La bande dessinée dans les manuels de FLE (1919-2020)
Dans ce numéro consacré au rapport entre didactique et bande dessinée, la réflexion que nous allons présenter se situe dans le champ du français langue étrangère (FLE) avec une perspective historique. Nous nous poserons la question de savoir quelle est et quelle a été la place de la BD dans l’enseignement du FLE, et nous nous demanderons en particulier quel(s) rôle(s) elle a joué en relation avec les méthodologies dans lesquelles elle s’insère. Pour répondre à ces questions on cherchera à retrouver dans les manuels de FLE les traces de son exploitation et à étudier son évolution, de manière à se faire une idée des changements de représentations et de pratiques dans le discours méthodologique. Des parallèles peuvent être esquissées entre les champs de la didactique du FLE et du français langue dite maternelle (FLM), par exemple sous l’angle historique de la situation de la BD dans l’enseignement au siècle dernier1. Nous en rappellerons quelques-uns sous forme de déficits:
- - la BD est peu présente dans l’enseignement;
- - elle manque de travaux de recherche académique;
- - elle manque d’instruments didactiques pour l’exploitation en classe;
- - elle manque de formation initiale ou continue pour les enseignants;
- - elle souffre encore d’un déficit de légitimité et les corpus enseignés peinent à s’émanciper du cadre étroit de la BD pour enfants;
- - elle est majoritairement instrumentalisée à des fins d’apprentissage pour d’autres savoirs (en particulier linguistique, mais aussi culturels, historiques, etc.).
Mais des nuances importantes doivent être prises en compte, notamment concernant la nature des documents exploités et leur fonction dans l’espace social. L’influence des différents courants méthodologiques dans le domaine de la didactique des langues étrangères joue sans doute un rôle essentiel dans l’intégration de la BD dans les manuels d’enseignement selon les époques. Pour clarifier ces nuances, il convient aussi de préciser une distinction fondamentale dans le champ de la didactique du FLE concernant le type de BD dont il sera question. En effet, il faut rappeler l’importance, dans le champ de la didactique des langues étrangères, depuis les années 1970, du débat sur la distinction entre document authentique (entendu comme objet de discours circulant dans la société-cible) et document fabriqué (entendu comme objet de discours fabriqué pour l’enseignement de la langue).
En général, le document fabriqué s’oppose au document authentique en ce qu’il présente une langue artificielle, et qu’il perd les éléments contextuels, les implicites et tous les éléments susceptibles d’être jugés trop difficiles pour le niveau des apprenants. Il y a donc les pour et les contre et le débat est vif (Boyer & Butzbach 1990). Mais de manière générale, l’utilisation du document authentique est fortement recommandée par les didacticiens des langues depuis les années 1980 et l’arrivée de l’approche communicative (Cuq & Gruca 2003: 392). Ce type de documents va s’imposer dans les manuels et progressivement envahir l’espace visuel dans les méthodes actionnelles des années 2000: publicités, affiches, tracts, brochures, etc. Toutefois, cette profusion de documents authentiques concerne surtout les textes écrits, les documents oraux authentiques étant souvent considérés comme trop difficiles pour l’accès au sens.
Pour ce qui est de la BD, nous utiliserons cette distinction entre BD fabriquée pour l’enseignement de la langue étrangère et BD authentique circulant dans la société-cible (désormais BDF et BDA) pour rendre compte des usages dans les manuels de FLE: jusqu’aux années 1980, la BDA y est absente, puis elle apparait timidement dans les suppléments culturels. Pourtant, Rouvière (2012: 283) mentionnait une «très large présence» de la BD dans les manuels de langue et civilisation depuis les années 1970. Cuq et Gruca (2003) font le même constat2, mais ces affirmations sont contraires aux résultats de notre recherche si l’on prend en compte seulement les BDA, qui s’avèrent rares dans les manuels que nous avons observés. En effet, ces supports graphiques semblent faire l’objet des mêmes résistances que les documents authentiques oraux: ils sont généralement jugées trop difficiles et n’apparaissent que dans les niveaux plus avancés. En revanche, le dessin assimilable à des BDF est massivement exploité sous toutes ses formes, avec une densification dans les premiers niveaux.
Toutefois, la frontière entre BDA et BDF n’est pas toujours claire: les illustrations fabriquées adoptent plus ou moins les caractéristiques spécifiques de la bande dessinée authentique, comme on le verra, selon les objectifs à traiter. Nous en viendrons par la suite à relativiser cette distinction, qui repose surtout sur un critère éditorial. En lien avec cette question d’authenticité, si l’on veut rendre compte de la place de la BD dans les manuels de FLE, on doit également tenir compte de la dimension sérielle et du nombre de cases dessinées, avec plusieurs cas de figure:
- Des BD allant de une à trois vignettes pour illustrer et faire comprendre un contenu: dans ce cas, l’utilisation de dessins fabriqués est omniprésente, mais cette proportion diminue à mesure que l’on progresse dans les niveaux de langue. La BD fonctionne alors comme support et illustration d’un discours autre: celui de la méthode. Les dessins authentiques de ce type, beaucoup plus rares dans notre corpus, s’apparentent au dessin de presse, souvent satirique, mettant l’accent sur la dimension critique ou humoristique.
- Des séquences de BDA tronquées, sous forme de vignettes sorties de leur contexte: dans cette configuration, on peut se demander si l’on est encore en présence d’un document authentique. Les planches complètes sont très rares.
- Une ou deux pages de BDA: ce type d’usage s’observe rarement dans les manuels, la BD étant considérée comme un objet discursif en tant que tel. L’activité est alors rangée dans les objectifs socioculturels des manuels3.
Mais que recouvre exactement le terme de «bande dessinée» quand il est utilisé dans le cadre de la didactique du FLE? Dans une perspective historique, nous avons eu recours aux deux principaux dictionnaires francophones de didactique des langues. Dans celui de Cuq (2003), il n’y a pas d’entrée BD. Dans celui de Galisson & Coste (1976), on trouve une page consacrée à la bande dessinée et deux pages concernant l’image (à l’époque, les méthodes audiovisuelles dominent encore et utilisent systématiquement une certaine forme de BDF, comme on le verra). La définition proposée est la suivante:
Mode d’exposition d’une histoire (encore appelée «figuration narrative») au moyen de dessins accolés en bandes, qui se lisent de gauche à droite et de haut en bas, comme l’écriture, et qui représentent des étapes successives de l’histoire. (Galisson & Coste 1976: 64)
Plus loin, il est fait allusion à la dimension cognitive de la lecture de BD:
Pour rétablir la continuité d’un dessin à l’autre, le lecteur doit mentalement «boucher les trous». Les paroles du personnage qui parle s’inscrivent généralement dans une bulle (appelée "phylactère") reliée à sa bouche et contenu dans l’image. (Galisson & Coste 1976: 64)
Sont mentionnés ensuite rapidement les «procédés graphiques» et les «divers codes» qui expriment «les éléments prosodiques» et «les valeurs affectives du langage». Dans la rubrique Remarques, les auteurs opèrent une distinction (sans employer le terme de «document authentique») entre les BD construites à des fins pédagogiques et les «bandes dessinées du commerce». Pour ces dernières, les auteurs remarquent que leur «utilisation immédiate» est «pratiquement impossible», sans toutefois expliciter les raisons de cette impossibilité. Nous y reviendrons. Notons cependant qu’entre 1976 et aujourd’hui, le statut culturel et didactique de la BDA a beaucoup évolué dans les milieux de l’éducation (cf. Rouvière 2012), en même temps que ses formes d’expression et ses publics se sont diversifiés (Berthou 2017).
L’objet de notre recherche étant ainsi plus ou moins circonscrit, il nous faut maintenant préciser notre méthodologie de recherche. Il s’agissait d’effectuer une analyse qualitative des supports BD dans un corpus de 33 manuels de FLE pour adultes et grands adolescents, de niveau A1 à C1. Le choix des ouvrages visait à offrir un échantillonnage significatif de manuels souvent considérés comme représentatifs de leur époque et couvrant un siècle d’enseignement (1919 à 2020). Pour étudier ce corpus, nous avons envisagé plusieurs questions de recherche: quel est le rôle joué par la BD (BDA et BDF) dans les manuels? comment est-elle utilisée et dans quel but? son usage varie-t-il en fonction de l’époque et des évolutions méthodologiques?
En observant les manuels, on peut ainsi attester, par des exemples concrets, de certains usages différenciés de la BD selon les époques, sans que ce corpus restreint nous autorise à produire une représentation statistique de l’ensemble de ce qui s’est produit dans le monde francophone. Disposant actuellement de peu de publications théoriques sur ce sujet, il demeure ainsi difficile d’avoir une vision d’ensemble du phénomène. La BD, apparemment, a peu intéressé les didacticiens4, soit parce son exploitation a été considérée comme problématique (cf. l’«impossibilité» évoquée par Galisson & Coste), soit à cause de l’influence des représentations que l’on se fait de ce médium (la réputation de manque de sérieux qui s’attache encore à la BD), soit encore pour d’autres raisons, que nous serons amenée à discuter plus loin.
Nous allons présenter les résultats de notre analyse en lien étroit avec l’évolution historique des méthodologies d’enseignement du FLE5. Nous distinguerons deux époques, celle d’avant les années 1980, avec les méthodes directes, mixtes, audiovisuelles et audio-orales, et celle postérieure, avec les méthodes communicatives et actionnelles. Dans la première période, on ne trouve pas de BDA dans les manuels de FLE, mais on constate cependant une évolution de la fonction attribuée à la BDF en fonction des méthodologies.
Avant 1980: dessins fabriqués uniquement
Méthode Directe
Le dessin est présent dans les manuels les plus anciens de notre corpus, qui relèvent de la Méthode Directe. C’est une des caractéristiques importantes de cette méthodologie novatrice apparue à la fin du XIXe siècle. Le dessin devient un élément décisif de la leçon, en permettant un accès «direct» au sens, il évite de passer par la traduction. Il présente des situations, des objets, il sert aussi à l’apprentissage des structures, à travers des activités de description des images et des exercices questions/réponses liés aux dessins.
Dans Le français pour tous (1919), par exemple, on voit pour chaque leçon l’adoption systématique d’un dessin muet qui fonctionne comme décor, mais aussi comme support pour les actions et les interactions dans la classe.
Figure 1 Le français pour tous (1919: 2)
On trouve également dans certains manuels une ébauche de bande dessinée (telle que définie plus haut), sous la forme de dessins alignés sans paroles. Un exemple particulièrement intéressant est reproduit dans Puren (1988), pour un cours d’allemand pour débutants. Les dessins y suggèrent l’idée d’action pour l’enseignement des conjugaisons du présent. L’emploi de la BD souligne ainsi l’aspect performatif des verbes et de la langue (le Faire) et sert de guidage pour les exercices. La dimension dynamique de la langue est suggérée par le mouvement représenté par la succession des images.
Figure 2 Cours d’allemand. Grands commençants (1923: 49)
Ces exemples relèvent ainsi d’une fonction d’illustration de la situation et des éléments de la leçon. Ils ont pour points communs d’intégrer un contexte, de faciliter l’accès au sens, de mettre l’accent sur le sens et la dynamique de la communication6, en favorisant la dimension praxéologique de la communication: cela permet de travailler l’emploi des verbes, les suites d’actions, le mouvement, le mime, le dialogue.
Méthode mixtes (traditionnelles)
La méthodologie Directe a représenté une rupture dans l’enseignement des langues en Europe, elle fonctionnait sans recours à la langue maternelle, sans explications grammaticales, et d’abord à l’oral. Trop révolutionnaire pour l’époque et abandonnée dès les années 1920-1930, cette option méthodologique a laissé des traces dans les manuels de FLE dits «mixtes» des années suivantes, qui reviennent à une méthodologie plus ancienne, «traditionnelle», en gardant l’influence des méthodes directes: davantage de dessins, pas de traduction, davantage d’oral, etc. On y voit l’apparition de personnages dessinés, très stéréotypés, comme par exemple, dans cette méthode célèbre des années 1950-1980, le Cours de langue et de civilisation françaises,communément appelée le Mauger bleu, où les dialogues sont supposés être tous prononcés par deux familles.
Figure 3 Cours de langue et de civilisation françaises 1 (1957: 72)
Méthodes audiovisuelles et audio-orales
Toutefois, une nouvelle forme de BD apparait dans les années 1950 au sein du courant des méthodes audio-visuelles et audio-orales: la présentation systématique de «bandes dessinées»7 avec des phylactères qui reproduisent les répliques orales (et audio) des personnages. La BD est associée au son comme adjuvant pour la compréhension et la mémorisation «en situation» (en contexte); elle est également un support pour des exercices structuraux.
Figure 4 La France en direct (1971: 66).
L’image prend un rôle très important, elle est un objet de débats au sein de la communauté scientifique8 et se caractérise assez vite par des règles strictes:
- Une image pour chaque réplique du dialogue central de la leçon (en cas de passage monologué, les énoncés sont morcelés en petits groupes rythmiques).
- L’image doit apparaitre avant le son (le texte du dialogue n’étant pas visible au début).
- Les phylactères sont souvent représentés par des cercles ou des rectangles pouvant contenir des pictogrammes divers, de nouveaux dessins, des marques de ponctuation et du texte «dessiné».
Ainsi, on plaque une image codée sur un énoncé oral: cela fonctionne sur l’illusion qu’on peut transcoder la langue en segments imagés fixes. De fait, on peut douter que l’image favorise vraiment la compréhension. Cela convient plus ou moins bien pour le niveau débutant avec une langue simplifiée, artificielle et débarrassée des caractéristiques de l’oral authentique. Mais cette médiation crée des problèmes d’interprétation dès que l’énoncé est un peu plus complexe, comme dans l’image suivante.
Figure 5 La France en direct (1971: 66).
Dans le guide méthodologique du manuel, l’image fait l’objet de plusieurs commentaires significatifs: elle «doit communiquer tout le contenu de sens» (1971: 5). Pour ce faire, précisent les auteurs, elle doit obéir à certaines contraintes:
- - il faut privilégier l’image dessinée à la photo, car elle est «plus sélective, plus lisible et plus facile à structurer»;
- - la schématisation du dessin «ne doit cependant pas nuire à l’authenticité culturelle»;
- - la couleur doit remplir un «rôle fonctionnel et non décoratif».
(La France en direct, 1971: 5)
Parmi les conventions, on mentionne les «bulles», qui sont là, nous dit-on, «pour représenter la pensée». On peut trouver curieux d’associer les phylactères à la pensée et non à la langue, et du reste, bien que les images soient surcodées, les problèmes d’interprétation apparaissent inévitables. On constate les mêmes problèmes dans une autre méthode parue la même année, que l’on doit encore à Gaston Mauger. Issue du Mauger bleu (donc d’une méthode mixte, mais influencée cette fois par la méthodologie audiovisuelle), Le Français et la vie (1971) est un manuel utilisé à l’Alliance Française, et dans le passage qui nous intéresse, nous pouvons «lire» un dialogue «de 20 répliques, illustrées chacune par un dessin expressif et simple, où le personnage qui parle est cerné d’un trait gras» (1971: V). On peut apprécier diversement ces qualités dans l’illustration ci-dessous, où l’accès au sens est loin d’être immédiat (M. Roche: Tout cela est très intéressant).
Figure 6 Le Français et la vie (1971: 218)
On voit que ce type d’usage de la BD se heurte aussi à la difficulté de représenter le langage abstrait, même quand l’énoncé est simple du point de vue syntaxique. Le problème est omniprésent dans la méthode et repose sur une deuxième méprise: l’illustration est supposée faciliter l’accès au sens, qui deviendrait transparent et rapidement accessible. On voit dans l’exemple suivant l’impasse que peut représenter a posteriori cette codification iconographique du discours9.
Figure 7 Le Français et la vie (1971: 220)
Figure 8 Le Français et la vie (1971: 221)
Au fil du temps, les méthodes audiovisuelles et audio-orales ont évolué dans leur manière de présenter les dialogues. Les BD se modifient progressivement et sont associées à plusieurs répliques, puis à la situation entière (une seule image par dialogue) et vers 1980, elles peuvent renvoyer à une multiplicité de dialogues et de situations, présentées dans chaque unité du manuel. On est là à une charnière importante en didactique du FLE, dont on peut donner deux exemples.
Dans la méthode audio-orale tardive Le Français par objectifs (1980)10, les bulles ont disparu et le texte du dialogue est présenté sous l’image, qui montre les locuteurs en interaction (ou bien représente le contenu illustré de leurs propos). On voit qu’une image peut concerner deux répliques et que la couleur est utilisée de manière réaliste. Surtout, cette méthode présente les premières BDA de notre corpus. C’est là sans doute l’influence de l’époque, qui voit la légitimité culturelle de la BD s’affirmer de plus en plus, en même temps que se renforce la mode des documents authentiques dans le champ de la didactique des langues étrangères. Mais les principes méthodologiques structuralistes de la méthodologie audio-orale restent les mêmes: les documents sont exploités comme supports à des fins linguistiques, notamment par des exercices structuraux. On y trouve par exemple une BD muette de Sempé, complète mais accompagnée d’un dialogue (fabriqué) racontant l’histoire représentée par le support, ainsi que d’un récit écrit, qui serviront de base à toute une série d’activités linguistiques.
Exemple de consignes: «Travaillez à deux. L’un pose les questions avec le livre ouvert et l’autre répond à l’aide des images. Ensuite, changez de rôle. Finalement, refaites l’exercice uniquement avec les images» (Le Français par objectifs, 1980: 174). Les questions à poser servent à vérifier la compréhension du récit fictif qui accompagne la BD. Puis on demande de faire l’exercice par écrit. Il s’agit d’un bon exemple de ce qui se faisait dans les méthodes structuralistes des années 1950-80: la BD est ici considérée comme une série d’images séparées venant illustrer un enregistrement audio et servant de base à l’enseignement, lequel repose sur une série de questions/réponses visant à vérifier la compréhension, sur une transformation syntaxique, sur des changements énonciatifs (de «je» à «il»), etc. La consigne, qui exige parfois de travailler «uniquement à l’aide des images», montre aussi le rôle de l’illustration comme soutien au travail en autonomie en sous-groupe et comme outil de mémorisation. En fin de compte, cette méthode audio-orale tardive pourrait être cataloguée comme une méthode mixte (audio-orale et communicative).
Le deuxième exemple de méthode «charnière» est représenté par Archipel (1982), qui est souvent considérée comme la dernière méthode audiovisuelle et la première méthode communicative pour le FLE. Sa première unité (niveau débutants) commence par une BD pour illustrer une partie d’un dialogue présenté plus tard dans l’unité. On voit dans l’illustration que le contexte a gagné en importance: l’attention est portée sur la situation socioculturelle, les détails sont travaillés, les personnages sont plus réalistes. Les bulles sont remplacées par un encadré présentant la réplique d’un personnage. La mise en page est aussi très différente des anciennes méthodes audiovisuelles, avec un grand phylactère de forme géométrique au milieu de la page, représentant une scène illustrée.
On remarque que le manuel porte une attention toute particulière à l’illustration et qu’il intègre de nombreux documents authentiques, en majorité écrits ou visuels. Dans Archipel 2, paru en 1983, apparaissent les premières BDA : au nombre de cinq, elles sont toutes complètes, non destinées aux enfants, produites par des auteurs célèbres (Bretécher, Sempé, Bosc, Reiser) et sont en majorité classées dans les suppléments aux leçons. L’aspect ludique et culturel est privilégié et aucun travail particulier n’est demandé aux apprenants. Sur cette marginalisation au début des années 1980, nous faisons l’hypothèse d’une influence des recherches en didactique des langues étrangères de l’époque (le Dictionnaire de didactique est publié en 1976), car nous avons vu qu’on y présentait l’exploitation de la BDA comme impossible. On verra en effet qu’elle sera réservée dans un premier temps aux suppléments culturels des manuels.
Pour tirer une synthèse de cette première partie, rappelons que le principe de la BD est de représenter par l’image une suite d’actions d’un même personnage. Les BD sont donc bien présentes dans les manuels, mais elles sont éloignées des productions authentiques. À l’origine de ces illustrations fabriquées pour l’enseignement de la langue étrangère, on trouve une nouvelle méthodologie, la Méthode Directe, qui confère à l’image une fonction illustrative, facilitant l’accès au sens, ainsi qu’une fonction performative, comme déclencheur d’actions langagières et support à la mémorisation. Avec l’arrivée du son, on trouve une nouvelle méthodologie, la méthode audiovisuelle, dotée d’une vision structuraliste du langage, qui a pour effet de découper la langue en petites unités visant à atteindre idéalement (mais, dans les faits, elle y parvient assez rarement) une correspondance univoque entre image, son et bulle. Il faut attendre les années 1980 et l’arrivée de l’approche communicative pour observer l’usage plus récurrent des BDA.
Depuis 1980: dessins fabriqués et authentiques
Approches communicatives
Avec l’émergence des méthodes relevant de l’approche communicative, on observe un engouement pour le document authentique, une ouverture aux genres les plus divers et aux supports multimodaux, qui s’accompagnent d’une mise en avant de la dimension socioculturelle des discours. Concernant la BD, on peut distinguer deux tendances dans cette nouvelle approche. D’un côté, on observe l’introduction timide de la BDA à des fins d’enseignement de la langue et de la culture. D’un autre côté, on constate l’introduction massive de séquences de BD fabriquées pour un usage didactique, à des fins d’enseignement de la langue: vocabulaire, registres de langue, grammaire de l’oral et de l’écrit, grammaire textuelle, actes de parole, production orale et écrite, et surtout, la BDF comme aide à la compréhension.
Dans cette partie, nous limiterons nos commentaires aux BD dites authentiques, tronquées ou non. Nous avons cherché à savoir quelles étaient les fonctions de la BDA dans les manuels post 1980, en nous appuyant sur les données de notre corpus et sur les recherches existantes. Or, à notre connaissance, il existe très peu de publications sur le sujet, à part quelques articles isolés. Le seul ouvrage théorique consacré à la BD dans la classe de FLE et destiné aux enseignants est un livre qui vise à exploiter le dessin de presse satirique. Ce manuel publié en 1987 et rédigé par Annette Runge et Jacqueline Sword est intéressant parce qu’il donne accès aux représentations de l’époque: on y trouve des conseils et des suggestions d’activités représentatives de l’approche communicative. Les autrices proposent ainsi quatre pistes d’utilisation du dessin humoristique (Runge & Sword, 1987: 5):
- - Montrer «simplement» des dessins qui ont un thème proche de celui de la leçon «dans un esprit de détente»: il s’agit là de la fonction «décorative» de la BD que nous avons retrouvée dans les méthodes 1980-90 analysées. Dans ce cas, une seule vignette peut suffir à illustrer le sujet traité, sans consignes.
- - Faire «ressortir les éléments de civilisation» et «analyser les clichés qui en découlent»: cette fonction de supplément culturel est aussi largement présente dans les manuels que nous avons observés, qu’ils relèvent de l’approche communicative ou actionnelle.
- - Faire décrire le «contenu» de la BD, c’est-à-dire produire du discours dans un but linguistique et non pas communicatif: les auteurs précisent que c’est une activité «très artificielle si tous les apprenants ont le dessin sous les yeux». Pourtant, cet usage de la BD est très souvent proposé dans les activités des manuels de notre corpus.
- - Supprimer la légende ou la bulle pour les «faire imaginer» par l’apprenant. À nos yeux, il s’agit là encore d’une réduction de l’exploitation de la BD à une fonction linguistique: le support authentique est modifié pour faire produire un certain type de discours, plus ou moins contraint selon les objectifs de la leçon.
Les autrices proposent un tableau instructif des différentes possibilités de didactisation. De toute évidence, il montre un parti pris d’instrumentalisation de la BD à des fins pédagogiques.
(Runge & Sword 1987: 9)
En parcourant de manière plus transversale notre corpus, nous sommes parvenue à dégager une typologie des usages de la BDA dans les méthodes communicatives en considérant en particulier le rôle décisif des consignes qui accompagnent les supports visuels, orientent la lecture du document et conditionnent l’activité de l’apprenant. Nous proposons de distinguer ces usages en les corrélant à quatre fonctions différenciées11.
A. Fonction illustrative (ou décorative): la visée est de comprendre;
B. Fonction performative à visée linguistique ou textuelle: la visée est de faire;
C. Fonction informative: le but est de s’informer, de s’acculturer;
D. Fonction créative: le but est d’imaginer et de produire.
A. La fonction illustrative était déjà à l’œuvre dans les manuels d’avant 1980 avec les BD fabriquées. Il s’agit aussi de favoriser l’accès au sens dans des conditions de détente. De la planche complète à la case unique, les BDA accompagnent par exemple le thème de la leçon. Dans la Grammaire des premiers temps 1 (1996; 2014), les autrices utilisent une planche de Reiser pour illustrer, sur un mode comique, la notion de pronoms possessifs. Aucun travail particulier n’est demandé à l’apprenant, il n’y a pas de consignes, la fonction décorative et illustrative est ainsi exploitée systématiquement à chaque début de leçon.
B. La fonction performative à visée linguistique est une des catégories les plus répandues. Il s’agit de faire produire des éléments de la langue. Le manuel L'Exercisier (1980: 154) propose par exemple un travail sur l’acte de parole «proposer12», à partir d’un extrait de deux cases de Pétillon. Les consignes orientent l’apprenant d’abord vers la lecture des bulles: «Observez les vignettes suivantes. De quelle façon les personnages expriment-ils leurs propositions?». Les bulles en question présentent deux réalisations différentes du même échange d’actes: proposer / répondre. Puis l’apprenant est prié de produire oralement des actes de proposition: «À votre tour, faites des suggestions.»
Par ailleurs, les manuels qui exploitent des BD muettes le font tous avec une visée linguistique. Sempé semble être le dessinateur le plus fréquemment mobilisé. On trouve par exemple, dans le manuel précité, une BDA associée à la consigne suivante: «Racontez cette bande dessinée en utilisant le maximum de verbes pronominaux.»
La fonction performative à visée textuelle permet de travailler sur les aspects discursifs des documents, par exemple quand il est demandé de reconstituer l’ordre original des vignettes. On le voit notamment dans le manuel Studio+ (2004: 52) avec des cases de Tintin que l’on demande de mettre dans l’ordre chronologique en justifiant son choix13.
C. Pour la fonction informative, les BDA dans les manuels s’orientent en majorité vers la constitution d’un apport socioculturel pour l’apprenant, qui témoigne du gain de légitimité de cette forme d’expression, en particulier dans le contexte de la langue-cible. Des éléments culturels associés à la BD franco-belge sont ainsi pris en compte dans certains manuels. Par exemple, dans le manuel Rond-Point 2, trois personnages de BDA, dont Gaston Lagaffe, font l’objet d’un éclairage dans le supplément culturel «Regards croisés», qui est présenté dans l’introduction du manuel comme le réservoir «des "échantillons" de culture» (2004: 74-75). Dans ce cas, c’est bien l’aspect socioculturel qui est mis en avant, sans qu’un travail à but linguistique ne soit demandé: la consigne est d’observer les personnages et de dire si on les reconnait (ce qui relève de la compétence socioculturelle).
D. On peut enfin exemplifier la fonction créative en citant le manuel À propos (2005: 133), qui présente une planche de Bretécher où des convives discutent à table. La consigne «Vous avez été acteur de cette scène, racontez» nécessite de la part de l’apprenant l’adoption d’un point de vue différent et nouveau sur la discussion des personnages, ainsi que la production d’un discours narratif; la BD est ici un support pour l’imagination et la recréation, ainsi qu’un moteur de créativité langagière: il faut être «acteur», c’est-à-dire être dans l’Agir14.
Parmi ces différents usages de la BD dans les manuels de FLE post 1980, en lien avec l’évolution des méthodologies d’enseignement, deux hypothèses peuvent être émises. Premièrement, la dimension textuelle spécifique à la BDA nous semble être importante et favorable à l’apprentissage «par les genres». Il s’agit de dégager les effets qui produisent du sens et suscitent des réactions chez les lecteurs (notamment par l’esthétique et la construction de la planche) et de s’interroger sur les différents niveaux de lecture du document. On peut poser, par exemple, la question du «pourquoi est-ce que c’est drôle?» ou interroger les blancs entre les cases, ces questions visant à amener l’apprenant à une observation attentive de la BD. Deuxièmement, ces différentes fonctions peuvent évidemment se combiner dans une approche plus ou moins intégrée, en tenant compte du genre discursif spécifique et de ses caractéristiques propres. Ainsi, la fonction créative, qui agit comme déclencheur de l’imagination, nous semble pouvoir être intégrée avec profit aux autres fonctions.
Afin de montrer plus précisément la manière dont la BDA est didactisée respectivement dans les méthodes communicatives, puis actionnelles, nous allons maintenant reprendre cette catégorisation des fonctions de la BDA pour décrire les manuels de notre corpus. Nous rappelons que l’emploi de ce médium reste rare, parfois absent dans les niveaux destinés aux débutants. Nous relèverons, parmi ses occurrences, les propositions pédagogiques qui nous semblent justifiées par la spécificité de ce genre de discours.
Les fonctions de la BD dans les méthodes communicatives:
- - Fonction illustrative: sur un plan quantitatif, les BDA sont rarement utilisées pour illustrer ou faire comprendre des éléments de la langue, cette place étant prioritairement occupée par les BDF, très nombreuses et quasi-systématiques dans certains manuels.
- - Fonction performative à but linguistique: elle est largement mise à l’œuvre dans les rares BDA des manuels et concerne la production de tous les aspects linguistiques de la communication, mais surtout la grammaire et les actes de parole (représentatifs de l’époque). La BDA est prétexte à la production orale ou écrite, les consignes impliquent de reformuler, raconter et imiter.
- - Fonction performative à but textuel: le souci de traiter la BDA par le genre (discursif) apparait dans les années 1990 dans notre corpus, ce qui coïncide avec l’arrivée de la grammaire textuelle dans l’enseignement du FLE, sous l’influence des recherches sur l’enseignement de la langue maternelle. D’autre part, et sous l’influence également des recherches en didactique du FLM, on assiste dans les années 1970-80 à la naissance de nouveaux modèles en lecture (modèle bottom-up, lecture globale, etc.) avec notamment, en FLE, la lecture «interactive» (voir Cicurel 1991). Dans ce dernier contexte, on considère que le sens se construit dans l’interaction entre le texte et le lecteur, ce qui nous semble d’autant plus vrai pour la BD.
- - Fonction informative: la majorité des BDA rencontrées dans les manuels communicatifs est réservée aux suppléments culturels, en lien avec d’autres documents visuels authentiques.
- - Fonction créative: les BD muettes sont mises à contribution pour stimuler l’imagination et les BD «parlantes» sont souvent transformées (suppression du texte des phylactères, des récitatifs, suppression de vignettes, etc.).
On retrouve dans les BDA des manuels communicatifs les principales pistes de didactisation présentées par Runge & Sword à la même époque. Les activités recensées présentent des points communs et la BDA est non seulement exploitée dans un but linguistique et pragmatique, mais aussi, avec le développement de l’usage des documents authentiques, dans une visée socioculturelle. Il s’agit d’apporter des contenus multimodaux, de travailler sur la lecture d’images dans ses relations avec l’oral et/ou l’écrit.
Méthodes actionnelles
Malgré la profusion de documents authentiques, force est de constater que peu de manuels de FLE s’inscrivant dans le paradigme des approches actionnelles intègrent des activités autour de la BDA. La place du dessin a globalement diminué, pour laisser plus de place aux photos et aux textes, authentiques ou non, et les planches complètes sont rares. Malgré tout, il semble qu’on se dirige vers une légitimation de la BDA dans les manuels. Nous allons en montrer quelques exemples.
Tout d’abord, la BD semble à présent faire partie de la culture officielle. Dans les suppléments culturels ou les espaces «à lire et à découvrir», par exemple, les BDA sont traitées au même titre que les autres genres de documents authentiques. Il s’agit de donner «des informations qui vont vous permettre de mieux connaitre et comprendre les valeurs culturelles» (Rond Point 2, 2004: 5). La BD est ainsi explicitement revendiquée comme une valeur.
Dans le même ordre d’idées, la BD peut, de nos jours, être le sujet d’un article critique ou faire l’objet d’un débat. Dans Défi 4 (2020: 26), par exemple, l’une des deux activités recensées est une lecture présentant deux vignettes tirées d’une BDA ainsi que la photo de la couverture de l’album Mars horizon, comportant une référence bibliographique. Ces documents sont accompagnés d’un texte écrit (argumentatif), qui consiste en une critique positive de l’album en question. Deux consignes sont proposées avant de lire le texte. Elles doivent déclencher un échange sur les genres (mangas et BD d’aventures sont donnés en exemple): «Aimez-vous la bande dessinée? Si oui, quel genre de bande dessinée lisez-vous?», «Observez la couverture et la planche de bande dessinée. De quoi parle la BD?». On remarque aussi un petit encadré qui a pour effet de légitimer la BD comme valeur culturelle et fait de société: «Depuis 1974, le plus grand festival international de la bande dessinée d’Europe a lieu chaque année à Angoulême. Dans les rues, on voit des vignettes de bandes dessinées sur les murs.»
La BD peut aussi être comparée aux autres genres discursifs. Le manuel Tempo 2 (1997: 124) met côte à côte un extrait tiré d’un texte de Beaumarchais et une BD signée portant sur le même thème, la rumeur. La consigne demande à l’apprenant d’établir une comparaison entre les deux genres. Dans le texte littéraire, le cheminement de la rumeur est signifié par une succession de verbes juxtaposés («s’élance, étend son envol, tourbillonne, enveloppe, arrache», etc.), alors que dans la BD, le dessinateur J.-M. Renard représente graphiquement la rumeur dans la succession des cases par l’augmentation du volume des bulles, par la modification du lettrage, l’allongement des syllabes, etc. La consigne renvoie explicitement au médium graphique, en contraste avec le médium littéraire: «Regardez la bande dessinée et dites si elle illustre ou non le texte.» Elle induit un travail en profondeur sur les caractéristiques spécifiques du médium BD15.
Figure 9 Tempo 2 (1997: 124)
La BD peut même être intégrée à d’autres genres, ce qui constitue un signe supplémentaire de légitimation. On le voit clairement dans une activité du manuel Alter ego 4 (2007: 110), qui intègre un extrait de trois vignettes d’une planche de Bretécher, à l’intérieur d’une séquence visant la production d’une synthèse à partir de cette BD et de deux autres documents écrits. Il est intéressant de noter que dans cette activité de synthèse, le document BD semble présenter la même légitimité que les deux autres, qui sont référencés et datés de la même manière. Le support de la BD est thématisé comme tel dans un tableau à remplir, ce qui le met sur un pied d’égalité avec des articles de la presse écrite. Ainsi, même si le manuel n’exploite pas beaucoup le médium, il participe à sa légitimation progressive dans un travail d’apprentissage du FLE dit «sérieux».
Enfin, on voit apparaitre des BD fabriquées et généralement anonymes, mais qui deviennent pratiquement indifférenciables des BDA. On peut lire paradoxalement, dans l’apparition de ces BD produites à des fins d’enseignement, un signe de légitimation du médium, car les planches se réfèrent ostensiblement aux codes visuels de la BD «du commerce». On remarque d’ailleurs l’usage explicite du mot «bande dessinée» dans les consignes, comme dans le manuel Activités pour le cadre commun B1 (2006: 32): «Observez la bande dessinée. Racontez ce qui s’est passé. Imaginez ce qui a pu se passer ensuite.» Suivent des détails sur la manière de construire son récit, que nous reproduisons ici parce qu’ils sont représentatifs d’un travail sur BD souvent demandé aux apprenants: raconter une BD muette (dans sa forme originale ou bien présentée dans une version où le texte des phylactères a été masqué).
Vous pouvez:
- - situer l’évènement: quand, où, dans quelles circonstances s’est-il produit?
- - décrire le personnage principal,
- - dire comment il vous apparait: inquiet, irréfléchi, courageux …
- - décrire les différentes actions et les réactions –surprenantes, inattendues, exagérées, ou naturelles– qu’elles ont provoquées,
- - imaginer une fin … heureuse?
(Activités pour le cadre commun B1, 2006: 32)
Le but est clairement linguistique, puisqu’il s’agit, comme bien souvent, de faire produire un discours narratif au passé ou au présent. Néanmoins, le médium est maintenant reconnu comme un genre spécifique de document écrit, digne d’intérêt et d’apprentissage, bien que dans ces manuels, les activités ayant comme support des BDA non modifiées restent rares, même aux niveaux avancés. Par ailleurs, nous n’avons observé que deux activités visant à familiariser l’apprenant avec la terminologie spécifique au genre, notamment dans Défi 4 (2020: 97), avec un exercice de vocabulaire («s’approprier les mots»), où la consigne demande de légender une planche de BDF avec les étiquettes appropriées («bulle», «case», etc.). L’objectif est de fournir des outils de base pour travailler avec la BD, ce qui parait essentiel. Pourtant, cette terminologie semble aller de soi dans les autres manuels, où elle n’est jamais explicitée.
En reprenant notre proposition de typologie, voici à présent les résultats pour les méthodes actionnelles de notre corpus.
- - Fonction illustrative: cette fonction semble avoir diminué dans les manuels actionnels et ce sont davantage les photos qui remplissent le rôle d’accès au sens.
- - Fonction performative à but linguistique: cette fonction est toujours majoritaire. Comme on vient de le voir, des BDF imitant les codes des BDA sont apparues à des fins de production de discours, notamment de genre narratif. Tout dépend alors de la qualité de l’imitation: on observe ainsi parfois des activités où la médiocrité du support fait obstacle à son exploitation sur le plan graphique et visuel. Dans le manuel Version originale 3 (2011: 93). par exemple, on trouve une seule apparition explicite d’une «BD» (non signée), manifestement fabriquée pour travailler sur le discours rapporté. Ici, le support BD n’apporte rien, avec peu d’indices contextuels, très peu d’expressivité, un lettrage qui relève des normes de l’écrit imprimé, sur lequel le lecteur se focalise. Cette BD sert seulement à faire produire une narration orientée vers un but grammatical.
- - Fonction performative à but textuel: on voit rarement (moins d’une dizaine d’occurrences dans le corpus de manuels relevant de l’approche actionnelle) l’apparition d’activités prenant en compte les spécificités du langage de la BD. Le manuel Connexions 3 (2005) par exemple, offre quatre ou cinq exploitations de BDA. L’approche est intégrée: les spécificités du médium sont prises en compte (en tant qu’objet discursif, mais aussi linguistique et socioculturel), c’est le cas par exemple, dans une double page autour d’une planche de Cabu, dans la partie Arrêt sur Image (2005: 50-51). L’activité proposée consiste en une série de questions portant sur le support, et elle intègre un travail sur la lecture d’images: lien entre texte et dessins, informations apportées par le dessin, repérages lexicaux dans les bulles, introduction du lexème beauf avec recours au dictionnaire, inférences culturelles, etc. On trouve par exemple les questions suivantes: «Où se trouve le personnage dans chaque image? Quelles sont les informations qui permettent de le savoir?»; «Quelle est l’importance du texte par rapport aux images?»; «Peut-on regarder les images et comprendre l’histoire sans lire le texte? Peut-on lire et comprendre le texte sans regarder les images?»
- - Fonction informative: la BD devient un objet culturel plus légitime, mais il est encore souvent réservé aux suppléments civilisationnels des manuels. Certaines activités prennent pour thème la BD et ses différents genres, mais on se retrouve devant un paradoxe: le médium BD est maintenant reconnu comme un genre spécifique de document écrit, digne d’intérêt et d’apprentissage, mais il est peu utilisé comme outil d’enseignement. Notons que dans le manuel Alter ego 3 (2009), où l’on trouve très peu de dessins et pas de BDA, le genre n’a pas d’entrée dans «l ’abécédaire culturel» du manuel, qui traite néanmoins, à travers l’entrée «caricaturistes», du dessin de presse.
- - Fonction créative: quelques innovations pédagogiques dans les manuels actionnels nous semblent des pistes intéressantes à creuser. Ce sont généralement des activités qui combinent plusieurs des fonctions que nous avons définies dans une approche intégrée. Nous allons terminer notre réflexion sur des exemples relevant de cette optique.
Pistes pour une approche intégrée exploitant la fonction créative de la BD
Créativité lexicale
Les onomatopées peuvent servir de prétexte à l’invention de nouveaux mots, mêlant ainsi la fonction performative à but linguistique et la fonction créative de la BD, comme dans cette activité de vocabulaire du manuel À propos (2005: 79), où l’on présente des vignettes isolées (sans doute fabriquées, comportant toutes des onomatopées en gros plan) regroupées sous un thème commun: on a choisi de présenter non pas une BDA, mais un des traits caractéristiques de la BD (les onomatopées), comme déclencheur d’imagination et de créativité langagière. La consigne précise: «Choisissez une onomatopée, rajoutez un suffixe (Exemple: Tic Tac + eur = tictacteur / Tic Tac + logue = tictacologue») et ajoute: «Il ne vous reste plus qu’à définir cette nouvelle fonction!» On se sert ici d’une caractéristique importante de la BD – les onomatopées – pour inventer des mots et des définitions de ces mots; la BD combine dans ce cas toutes les fonctions, illustrative, performative, informative et créative.
Créativité narrative
Comme on l’a vu, les BDF qui imitent les codes des BDA visent des buts linguistiques et communicationnels, souvent liés à l’activité de «raconter». Dans Latitudes 3 (2010: 12-13), la seule occurrence d’une planche de BD présente une histoire fabriquée mais complète. Elle se rattache au genre de l’enquête policière, l’aspect graphique est soigné, l’ambiance imite un peu le style d’Hergé. L’aspect novateur dans cet exemple se trouve dans la tâche demandée: il s’agit de compléter le carnet du policier (le support inclut le dessin d’un carnet sur lequel on doit indiquer les détails de l’enquête) à partir de la lecture de la BD (travail de repérage et de synthèse des informations importantes pour l’enquête), puis de comparer ses notes avec un autre apprenant et de trouver qui est le voleur. On voit que la lecture d’images est surtout orientée vers la compréhension des phylactères et néglige, au moins au niveau des consignes explicites, les aspects graphiques (liens entre les images, cadrage, dessin, couleurs, etc.), mais cet exemple montre qu’il est possible d’imaginer, dans l’exploitation d’une BD en classe, des tâches interactionnelles de recherche et de partage d’informations, de comparaison et de synthèse, mettant en évidence une fonction créative que l’on peut associer à ce type de document.
Créativité graphique
La méthode actionnelle la plus récente du corpus Défi 4 (2020) présente une approche intégrée dans un dossier À découvrir sur la langue française (2020: 100). Les vignettes ont été séparées puis réalignées en surimpression, mais elles semblent figurer une séquence complète et la source est référencée. Les cases ont la particularité d’être dépourvues de décor (fond blanc) et de laisser une grande place au texte. La lecture du document «Des difficultés d’apprendre le français» est préparée par des «échanges» sur le thème, qui visent à faire émerger des idées qu’il s’agit de «retrouver» dans la BD; il s’agit d’abord de repérer des éléments de contenus. Suivent des questions de compréhension classiques sur le titre, le repérage des étapes, le lexique et son aspect culturel. Mais d’autres consignes présentent à nouveau des aspects spécifiques à la bd. La question 7, par exemple, renvoie au personnage dessiné de la dernière case avec ses spécificités graphiques: «est-ce que vous vous identifiez au personnage?».
La question suivante consiste en une tâche en binôme d’un genre nouveau: après un échange sur les difficultés de leur propre langue, les apprenants sont invités à «faire un dessin pour en illustrer une». On voit ainsi que, dans l’optique actionnelle, les tâches peuvent même aller jusqu’à adopter le code de la BD, non pas pour imiter ce dernier, mais pour exprimer une idée dans un nouveau cadre formel déjà établi. La proposition est courageuse quand on pense aux probables réticences des enseignants et des apprenants devant ce changement d’habitude. Mais n’est-ce pas là une manière d’aller jusqu’au bout de la logique praxéologique de la théorie actionnelle?
Créativité métacognitive
Pour terminer, nous souhaitons mentionner ici les manuels de Cartes sur Table qui occupent une place à part dans les méthodes de FLE. Publiés à la charnière des années 1980, ils relèvent bien de l’approche communicative et sont particulièrement centrés sur l’autonomie de l’apprenant. À plusieurs reprises, les auteurs ont fait appel à l’illustrateur Plantu, devenu célèbre en France en tant que dessinateur du journal Le Monde, où il a officié pendant 50 ans. L’objectif était de conscientiser des stratégies d’apprentissage sur la base d’une réflexion métacognitive autour des dessins.
Dans le manuel 2 pour les débutants, une première planche montre un personnage qui écoute un bulletin d’information météo à la radio sans rien comprendre; il fait des efforts, puis s’énerve, pour finalement saisir un mot-clé (pluie); tout content, il sort en prenant son parapluie. Cette activité sert aux apprenants d’un niveau encore faible à mieux comprendre comment écouter du discours, en portant l’attention sur ce qui est connu plutôt que sur ce qui est inconnu, etc. Les marques graphiques qui signalent l’affectivité sont mises en avant et l’écriture manuscrite dans les phylactères représente le discours de la radio du point de vue de l’apprenant: gribouillis, mots-clé, etc.
Figure 10: Cartes sur table 2 (1983: 36)
Le caractère authentique du document, ajouté au talent de Plantu, donne tout son intérêt à cette activité de réflexion sur les stratégies d’apprentissage, caractéristique de cette méthode plutôt avant-gardiste.
Dans le manuel niveau 2, un autre exemple nous semble encore plus significatif car il utilise aussi l’humour. La planche, qui comprend seulement deux vignettes occupant une page entière du manuel, est accompagnée de la seule consigne: «Regardez.» On peut imaginer une activité de lecture d’images mise en commun et un débat sur le texte et son statut, le changement de destinataire, la tyrannie de l’école, etc. Là encore, les qualités iconographiques du support favorisent un engagement de l’apprenant dans la tâche. Le changement de statut du texte est signifié par le changement de support (d’abord le poème rédigé sur un parchemin, ensuite il est inscrit dans une bulle) et le changement de lettrage, particulièrement expressif dans le phylactère.
Page suivante, une seconde consigne oriente la lecture sur un plan plus personnel: «Et vous? Pour apprendre le français, recherchez ensemble des genres de texte que vous pouvez utiliser "autrement" que dans l’idée de l’auteur.» Cette consigne est suivie d’un tableau à remplir en trois colonnes: «genre de texte» / «texte écrit pour…» / «texte lu pour…» avec un exemple manuscrit qui invite l’apprenant à s’engager personnellement.
Figure 11: Cartes sur table 2 (1983: 60)
L’activité prévue consiste ensuite à réfléchir sur les genres de textes, définis par leur but, mais aussi sur les stratégies d’apprentissage à adopter, à travers une mise en abyme où la situation d’apprentissage est thématisée: les textes sont instrumentalisés dans le but d’apprendre, comme la BD en classe de langue et comme celle de Plantu dans cette méthode particulière.
Avec cet exemple, on constate l’intérêt de recourir à une BD comme facteur de motivation et comme vecteur d’apprentissage langagier. Les personnages, le décor et tous les signes iconographiques contribuent à mettre en scène de manière très efficace les paramètres de la situation de production d’un discours, l’un écrit et l’autre oral, qui conditionnent sa réalisation aussi bien que sa réception.
A y regarder de plus près, on constate que les auteurs de ce manuel attachent beaucoup d’importance à l’illustration et utilisent une dizaine de dessinateurs différents (Plantu est le seul qui soit connu comme dessinateur de presse). Les BD relèvent-elles encore de la distinction entre document authentique et document fabriqué? En fait, la frontière entre BDA et BDF se neutralise. Déjà, Coste en 1970 relativisait la distinction:
«Authentique» – comme «libre» – entre dans la série de ces adjectifs valorisants, trop connotés pour être honnêtes, et parait opposer la pureté native du texte à l’obscure perversion de tout ce qui n’est pas lui. (Coste 1970: 88)
L’exemple de collaboration entre les auteurs de Cartes sur table et le dessinateur Plantu témoigne d’une réflexion approfondie sur ce qu’est l’apprentissage d’une langue dite étrangère. Pour avoir une chance d’intégrer efficacement la BD comme support d’enseignement, les collaborations de ce genre devraient être multipliées. A ce titre, le manuel Bulles de France occupe un espace à part dans notre corpus. En effet, c’est le seul ouvrage entièrement consacré à la BD, avec une orientation socioculturelle revendiquée, la méthode étant sous-titrée «Les stéréotypes et l’interculturel en BD». On y précise en quatrième de couverture que le dessinateur est l’auteur de plusieurs bandes dessinées. Les planches, rangées par thèmes, sont complètes et toutes du même format (une page), donnant lieu à des activités prévues pour les niveaux A1 à C2.
Dans l’introduction, les auteurs commencent par inventorier les différents avantages de la BD pour l’apprentissage des langues, en reprenant l’argument de la facilité de la compréhension: «Grâce à l’image, il [l’apprenant] peut construire sa compréhension par des hypothèses, en dépit des limites de son niveau linguistique.» Mais il est précisé aussi, en caractères gras, signe du débat toujours en cours, que les « planches proposées sont absolument inédites et authentiques », et qu’il «ne s’agit en aucun cas de textes et d’histoires fabriquées à des fins pédagogiques». L’insistance des auteurs à nier le caractère fabriqué des BD renvoie à la citation de Coste: le document fabriqué est utilisé comme repoussoir dans le méta-discours de promotion du manuel.
Force est de constater malgré tout que les planches manquent de variété, même s’il est vrai qu’on peut identifier un style, renvoyant à une forme d’auctorialité. Mais on s’aperçoit vite, à la lecture du manuel, que les aspects iconographiques sont assez peu mis en avant. Dans un premier temps, on demande d’observer rapidement la planche sans lire le texte, ou de lire le titre. Suivent les habituelles questions de compréhension, basées sur les parties écrites et les indices visuels. Une troisième partie «Imaginer / s’exprimer» peut porter sur le thème de l’unité, sur un point spécifique de vocabulaire ou sur la lecture d’une case particulière. Mais d’une manière générale, les consignes orientées vers les aspects iconographiques ou visuels sont minoritaires. Une partie «pour aller plus loin» apporte des informations socioculturelles (sur la société française uniquement) et un encadré lexical termine chaque unité. De fait, la lecture d’images est exploitée plus régulièrement (par exemple observer le geste d’un personnage ou son expression faciale) que dans les autres manuels du corpus. Mais dans un ouvrage dont le support est intégralement lié à la BD, peut-on se contenter de ce maigre rendement? Le manque de réflexion théorique sur la pédagogie de la BD en FLE se fait sentir dans cette tentative d’en faire un support de base de l’enseignement. Pourtant, le principe est exemplaire et mérite d’être approfondi. Des bandes dessinées des méthodes audiovisuelles aux Bulles de France, on mesure le chemin parcouru, même si beaucoup reste à faire.
Conclusion
Premier enseignement de notre recherche, à l’échelle de chacun des ouvrages que nous avons consultés, l’emploi de la BDA est rare, sinon rarissime: généralement une ou deux occurrences, jusqu’à cinq ou six dans certains manuels, sur des centaines d’activités proposées. Souvent tronquées ou modifiées, les planches présentées sont décontextualisées, les aspects graphiques sont négligés au profit d’un intérêt quasi exclusif pour le contenu des phylactères. Mais il arrive aussi que la BD soit présentée comme un objet culturel à part entière et elle est alors généralement rangée dans les suppléments culturels. On peut percevoir néanmoins des changements dans les usages pédagogiques de la BD, notamment dans les consignes et les tâches à effectuer, plusieurs innovations pédagogiques se dégageant au fil du temps et de l’évolution des méthodes. Il semble également clair que les représentations sur la légitimité culturelle de la BD, dans un contexte d’apprentissage scolaire ou universitaire, ont changé et continuent à se modifier: elle peut être non seulement un support à des activités linguistiques ou communicatives, mais elle peut aussi être étudiée (trop rarement) en tant qu’objet culturel ayant ses spécificités sémiotiques et discursives.
Dans le champ du FLE, on a assisté au cours du siècle dernier à une lente évolution qui conduit d’un usage presque exclusif de la BD fabriquée à la lente reconquête de la BD dite authentique. Autrefois utilisée pour l’accès au sens, la construction de schémas syntaxiques et la mémorisation, la BDF sert aujourd’hui surtout à illustrer les manuels. Depuis les années 1980, on utilise la BD issue de la presse satirique comme support à des fins d’apprentissage de la compétence de communication. Elle sert à faire comprendre, à faire produire ou à faire imaginer, en plus de son rôle d’apport civilisationnel. Elle progresse depuis lors avec une légitimation croissante, jusqu’à devenir le support exclusif d’un manuel complet en 2015.
Dans les vingt dernières années, on a vu apparaitre des activités prenant en compte les spécificités du genre, parallèlement au développement des recherches en linguistique textuelle et des approches didactiques par les genres. Il faudrait interroger ce phénomène en lien avec ce qui se passe en FLM dans la période récente16. Maintenant que la BD a gagné sa place dans l’enseignement de la langue / culture, des besoins énormes se font sentir en termes d’appareillage didactique pour l’exploitation en classe et en termes de formation des enseignants.
Nous avons vu que la présence de la BDA reste faible, que ce soit en ce qui concerne son importance socioculturelle dans le cadre de l’enseignement du français ou en tant qu’objet de discours spécifique. Dans le Cadre européen commun de référence (CECR), qui sert de guide à l’élaboration des manuels postérieurs à 2000, aucune mention n’est faite de la BD. Sophie Béguin (ce numéro) fait l’hypothèse que l’importance spécifique de ce médium dans la culture francophone a fait les frais de la normalisation européenne du CECR. De fait, à notre connaissance, dans les portfolios pour adultes, aucun descripteur ne renvoie au genre BD, qui n’est pas considéré comme essentiel à la compétence de communication.
Revenons-en à la sentence publiée dans le Dictionnaire de didactique des langues étrangères que nous avions évoquée dans notre introduction: l’exploitation de la BD «du commerce» serait «pratiquement impossible». Cette affirmation articulée en 1976 semble prophétiser la rareté des BD dans les manuels de FLE d’aujourd’hui. L’adverbe «pratiquement» pourrait renvoyer à deux significations: presque impossible ou concrètement (logistiquement) impossible. Il est vrai que des difficultés concrètes existent et s’avèrent fondamentales pour exploiter la BD en classe de langue. Il faut trouver des documents qui soient adaptés à l’objectif de la leçon et au niveau de langue des apprenants, accessibles à la compréhension et ne présentant pas trop d’implicites culturels. Il convient aussi de dénicher des planches courtes publiables dans un espace restreint. Il est enfin nécessaire de régler la question des droits d’auteur, de négocier des autorisations, ce point étant particulièrement épineux pour un médium relativement récent, dont les œuvres ne sont donc pas tombées dans le domaine public, et qui ne connaît pas le droit automatique de citation17. Par ailleurs, on se rend compte que beaucoup de supports tirés de BDA doivent être écartés car ils ne présentent pas le fameux aspect facilitateur ou motivationnel véhiculé par les représentations communes sur la BD.
Tous ces éléments peuvent expliquer la faible présence de la BDA dans les manuels. Et même lorsque ce médium se trouve au fondement de l’enseignement, comme dans Bulles de France, il lui manque souvent un arrière-plan didactique solide qui pourrait permettre de voir émerger des manières de travailler innovantes, relevant d’une pédagogie spécifique au genre. De ce point de vue, la didactique du FLE aurait tout à gagner à collaborer avec les chercheurs en FLM, à intégrer les avancées en didactique de la lecture et en didactique de la bande dessinée, avec une réflexion théorique approfondie sur le genre BD et son fonctionnement.
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- Activités pour le cadre européen commun de référence B1 (2006): Parizet, M.-L., Grandet, É. & Corsain, M., Paris, CLE International.
- Alter ego 4 (2007): Dollez, C. & Pons, S., Paris, Hachette.
- Latitudes 3 (2010): Loiseau, Y., Cocton, M.-N., Landier, M. & Dinthilac, A., Paris, Didier.
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Pour citer l'article
Anick Giroud, "La bande dessinée dans les manuels de FLE (1919-2020)", Transpositio, n°4 Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature, 2021http://www.transpositio.org/articles/view/la-bande-dessinee-dans-les-manuels-de-fle-1919-2020
Voir également :
Introduction n°4 - Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature
Si la reconnaissance de la valeur culturelle de la bande dessinée, durement conquise au cours des dernières décennies, semble aujourd’hui acquise{{Rappelons, au niveau de la reconnaissance institutionnelle, que le ministère de la culture en France a décrété l’année 2020 «année de la bande dessinée». Sur cette phase de «post-légitimation», voir notamment (Berthou 2017; Heinich 2019). Notons néanmoins qu’en dépit de ces honneurs, de nombreux·ses auteur·e·s et éditeurs·trices insistent sur le fait que leur profession est menacée de paupérisation, notamment en raison d’une surproduction saturant le marché et du manque de soutien institutionnel, ce qui a récemment conduit Lewis Trondheim à renvoyer au ministère la médaille de chevalier des arts et lettres qui lui avait été attribuée en 2005.}}, sa place au sein des programmes scolaires reste malgré tout fragile, ce qui a amené récemment Flore Steyaert et Jean-Louis Tilleul (2017: 233) à conclure que l’école restait «un caillou dans le soulier de la légitimation» de ce médium{{Cette publication est liée au projet de recherche financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique: "Pour une théorie du récit au service de l'enseignement" (Projet FNS n° 100019_197612 / 1).}}.
Introduction n°4 - Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature
Enseigner la bande dessinée dans un monde qui avance
Si la reconnaissance de la valeur culturelle de la bande dessinée, durement conquise au cours des dernières décennies, semble aujourd’hui acquise1, sa place au sein des programmes scolaires reste malgré tout fragile, ce qui a amené récemment Flore Steyaert et Jean-Louis Tilleul (2017: 233) à conclure que l’école restait «un caillou dans le soulier de la légitimation» de ce médium2. Pour envisager le type de résistance que peut rencontrer la bande dessinée quand il s’agit de l’étudier en classe, il peut être intéressant d’envisager les choses sous l’angle, non pas des prescripteurs et des enseignant·e·s, mais sous celui des auteur·es et des représentations des élèves. Dans son dernier album –que l’on peut qualifier de roman graphique ou d’autofiction en bande dessinée– l’auteur genevois Frederik Peeters met en scène son avatar, Oleg, lors d’une intervention en classe qui, précise-t-il, est le «moyen qu’il a trouvé pour rester connecté avec le monde qui avance» (Peeters 2021: n.p.).
Image 1: Frederik Peeters, Oleg © 2021 Atrabile
Lorsque l’enseignante demande aux élèves si quelqu’un a une question à lui poser, Oleg se heurte d’abord à un mur de silence. L’enseignante recadre un élève endormi, qui explique, pour justifier son état comateux, avoir «regardé la nouvelle saison de "Titans"» la nuit précédente3. La plupart des questions posées à l’auteur concernent ensuite la longueur du labeur aboutissant à la création d’un album et le profit qui se dégage de cette activité. Lorsqu’Oleg répond que la réalisation de son album lui a pris à peu près une année, une élève réagit en disant «c’est trooop looong». Oleg répond qu’il pense être, au contraire, plutôt rapide et demande à l’élève combien de temps il lui a fallu pour lire son album. Elle répond «quinze minutes», expliquant qu’elle n’a lu en réalité que les premières pages, et Oleg découvre ainsi que seulement deux élèves de la classe ont lu son œuvre dans son intégralité.
Image 2: Frederik Peeters, Oleg © 2021 Atrabile
Cette confrontation avec le «monde qui avance» souligne plusieurs aspects de l’évolution récente de la bande dessinée et de ses rapports à l’enseignement. Premièrement, la posture d’Oleg et son décalage vis-à-vis des représentations de plusieurs élèves soulève la question d’une polarisation de la production qui s’est opérée au sein du champ de la bande dessinée à partir de la fin des années 19604 et de ses effets sur la manière de lire les récits graphiques dans et hors de la classe. Le premier pôle renvoie à l’autonomie créative d’un artiste publiant ses œuvres chez des éditeurs indépendants ou issus du champ littéraire. Peeters est par exemple édité chez Gallimard, à l’Association ou chez Atrabile, éditeur indépendant genevois dont il est cofondateur, et il dispose ainsi d’un contrôle étendu sur la thématique, le style et le format de ses récits graphiques. Il faut relever par ailleurs qu’il n’est plus irréaliste d’imaginer qu’un auteur correspondant au profil de Frederick Peeters / Oleg puisse être invité dans une classe de français pour parler de son œuvre, à l’instar d’un écrivain. En l’occurrence, quand l’enseignante présente l’auteur, elle évoque un «prix BD des écoles5», ce qui témoigne également du gain de légitimité au sein des institutions scolaires. Cette liberté implique en revanche un mode de production artisanal et très chronophage, dans lequel un auteur «complet» réalise peu ou prou toutes les tâches, ce qui lui assure un revenu instable essentiellement lié à la gestion de ses droits6.
Le second pôle renvoie aux industries culturelles visant une accélération de la production fondées sur une standardisation des produits et sur la division du travail et l’anonymisation des créateurs, lesquels ne disposent plus que d’une liberté très limitée7. Aujourd’hui, le type de bandes dessinées le plus largement diffusé parmi les jeunes sont des produits émanant de grands groupes industriels, à l’instar de Disney, de Sony ou de Média Participations, qui intègrent différents supports médiatiques et coordonnent les activités de milliers d’employés. Et évidemment, au sommet de ces empires médiatiques, certains auteurs historiques, comme Hergé, Zep ou Stan Lee, peuvent accumuler des fortunes considérables. Bounthavy Suvilay et Edith Taddei (2019) rappellent par ailleurs que les bandes dessinées les plus largement consommées par les jeunes se rattachent aujourd’hui au genre importé du manga, qui a connu ces dernières années un essor phénoménal, soutenu par la diffusion sur les chaines en streaming d’adaptations sous forme d’anime.
Si la bande dessinée dans son ensemble a donc visiblement conquis ses lettres de noblesse, les œuvres valorisées par le monde de l’éducation semblent ainsi de plus en plus déconnectées des œuvres appartenant pleinement à la culture «juvénile» (Mitrovic 2019), ici incarnée par une série télévisée adaptée d’un univers créé par DC comics. La réaction de l’élève quant à l’état du compte en banque d’Oleg est prise par ce dernier comme peu pertinente, parce qu’à ses yeux, l’élève se trompe de pôle, confondant un auteur appartenant au champ de production restreinte avec un créateur travaillant à une échelle industrielle. Mais au-delà de la méprise, voire du mépris que l’on serait tenté d’adopter devant une question si triviale, se cache une réalité socioculturelle dont l’élève se fait ici le témoin précieux: le fait que lui, comme vraisemblablement la majorité de ses camarades, n’est exposé qu’au second de ces deux pôles et qu’il n’envisage pas l’existence d’une culture autonome, centrée sur l’individu producteur et héritée du XIXe siècle. Il n’a finalement en face de lui qu’un adulte actif parmi d’autres, au sein d’une société où la réussite individuelle se mesure à l’argent que l’on gagne.
En somme, la scolarisation de la bande dessinée est évidemment liée à «l’artificationde la bande dessinée» (Heinich 2017), mais la «légitimité culturelle» (Berthou 2017) dont jouit une partie de la production éloigne d’autant les corpus enseignés des représentations ordinaires que se font les élèves du médium, ce qui ne manque pas de produire des malentendus et des difficultés dans l’émergence d’une lecture de la bande dessinée que l’on pourrait qualifier de littéraire, au sens que les didacticiens donnent de ce terme (Dufays, Gemenne & Ledur 2005; Ronveaux & Schneuwly 2018). Ce que montrent les réactions de la plupart des élèves dans cet extrait, c’est que ces derniers assimilent la bande dessinée à une forme de culture populaire – à l’instar des mangas et des comics qui peuplent leur bibliothèque intérieure – et que cela induit des questionnements orientés sur des enjeux essentiellement économiques ou professionnels, au lieu d’adopter des gestes de lecture qui se seraient sédimentés dans la pratique scolaire du commentaire des textes littéraires. Ce faisant, l’entrée de la bande dessinée dans la classe de français, d’une part, ne produit pas forcément un rapprochement entre lectures scolaires et lectures privées (Norton 2003; Mitrovic 2019; Suvilay & Taddei 2019) et d’autre part, ne débouche pas nécessairement sur la pratique d’une lecture susceptible de renforcer le développement d’une littératie médiatique multimodale (Boutin 2012).
Le rappel de cette dualité explique que, face à cette forme d’expression que Marianne Blanchard et Hélène Raux (2019) définissent – à la suite de Thierry Groensteen (2006) – comme un «objet didactique mal identifié», les angles interprétatifs peuvent diverger sensiblement en fonction du statut qui est accordé à l’œuvre commentée. L’entrée de la bande dessinée dans la classe de français ne pose donc pas seulement la question de son identité médiatique, mais également celle de son statut culturel et des angles de lecture qui en découlent. Peut-on considérer la bande dessinée comme une forme de littérature? Ces questions, inlassablement posées depuis une vingtaine d’années (Morgan 2003; Chute 2008; Meskin 2009; Baetens 2009; Dürrenmatt 2013) ne doivent donc pas être comprises uniquement en termes généraux et médiatiques mais également en termes locaux et critiques. Pour rendre les enjeux plus explicites, il faudrait commencer par poser les questions suivantes: peut-on lire en classe certaines bandes dessinées comme on lirait des romans ou des pièces de théâtre? peut-on poser aux récits graphiques le même genre de questions que l’on poserait à des œuvres littéraires? peut-on étudier ces compositions de textes et d’images selon des procédures similaires à celles que l’on mobilise face à la représentation verbale ou scénique d’une histoire?
Il s’agirait ensuite d’anticiper une éventuelle réponse positive à ces questions pour qu’apparaisse une problématique secondaire: si cette lecture est possible, c’est probablement parce que l’on se refuse encore à envisager l’institutionnalisation de la bande dessinée dans le cadre scolaire sous un angle qui engloberait le caractère industriel et commercial d’une partie non négligeable de ses manifestations. Et qu’un tel refus risque de reconduire une forme sociologiquement induite d’inégalité parmi les élèves, en particulier en termes de cadrage des activités (Rochex & Crinon 2014), dont la séquence d’enseignement reproduite ici par Peeters semble relativement dépourvue. Oleg ou l’enseignante auraient pourtant pu profiter de cette question, qui n’est impertinente qu’en apparence, pour mentionner l’existence de différents types de produits culturels rattachables au média «bande dessinée» et expliciter les différences de nature existant entre ces produits en ce qui regarde la liberté dont disposent les créateurs, laquelle ne garantit nullement la qualité finale de l’objet. Cela aurait aussi permis de signaler l’existence d’œuvres populaires nées d’un compromis entre les contraintes d’une production industrielle plus ou moins formatée et la réputation de génies qui s’attache à certains auteurs formant un panthéon historique, à l’instar d’Osamu Tezuka, de Jack Kirby, d’Hergé ou de la paire René Goscinny et Albert Uderzo, qui a enfanté une œuvre pharaonique: 380 millions d’albums vendus dans le monde, plusieurs blockbusters cinématographiques, un parc d’attraction, etc.
Les conditions matérielles de production ne devraient ainsi jamais être complètement évacuée d’un enseignement centré sur l’histoire et l’esthétique de la bande dessinée, l’émergence et l’évolution de ce média relativement jeune étant consubstantiellement liées à l’essor de la presse imprimée et des logiques sérielles qui en découlent et sous-tendent encore la plupart des productions, même les plus auteuristes. Même les auteur·e·s indépendant·e·s ne peuvent survivre en se privant totalement des circuits de production et de diffusions traditionnels, et le positionnement de leurs œuvres ne peut se comprendre qu’en lien étroit avec les formes et les thèmes développés par les industries culturelles, ainsi qu’en témoigne la récurrence des motifs superhéroïques dans les œuvres de Chris Ware ou de Daniel Clowes.
Oleg se montre néanmoins reconnaissant lorsqu’une élève lui adresse enfin une question qu’elle aurait très bien pu poser à Flaubert, à Maupassant… ou à Houellebecq: quelle place donnez-vous à l’actualité du monde dans votre travail? Est-ce que vous hésitez entre faire des histoires intemporelles et des histoires réalistes? La question suppose évidemment que l’auteur dispose de suffisamment d’autonomie pour envisager ces différentes options et choisir celle qui correspond le mieux à son projet artistique. Le roman graphique de Frederik Peeters est enfin abordé sous l’angle de sa littérarité et non sous l’angle unique de son statut d’objet culturel rattaché à l’industrie des loisirs. S’ouvre alors la possibilité d’une véritable disciplination de la bande dessinée par son rattachement à la pratique de la lecture littéraire telle qu’elle s’est sédimentée dans les pratiques scolaires (Ronveaux & Scheuwly 2018).
Image 3: Frederik Peeters, Oleg © 2021 Atrabile
La bande dessinée d’auteur et sa lecture scolaire
Jan Baetens avance que «la rencontre des domaines longtemps séparés de la littérature et de la bande dessinée» s’impose aujourd’hui «comme une évidence» (2009: §1), ce dont témoigne, entre autres, l’explosion des adaptations de classiques en bande dessinée, mais aussi l’émergence d’un genre identifié comme «roman graphique» et son accession à des prix littéraires prestigieux. Toutefois, Baetens souligne le risque de confondre cette rencontre avec une forme de fusion ou d’hybridation:
Une chose est l’explosion des croisements entre littérature et bande dessinée, autre chose est le bien-fondé ou la solidité de cette nouvelle hybridité, qui ne manque pas de soulever plus d’une question essentielle sur notre conception même du récit. (Baetens 2009: §1)
Si l’on exclut les adaptations ne servant que de marchepied pour accéder aux œuvres vraiment littéraires, les bandes dessinées enseignées dans les classes de français comme de la littérature sont plutôt rares et les mêmes titres ne cessent de revenir dans les discours des chercheur·euse·s, didacticien·ne·s, enseignant·e·s: Maus, Persepolis, Pilules bleues, Fun Home… Ce retour inlassable d’un corpus d’œuvres restreint témoigne d’une part de la difficulté d’établir un périmètre élargi de récits graphiques dignes d’être enseignés en classe comme de la littérature. La patrimonialisation des œuvres passant généralement par leur inscription dans les corpus scolaires, pour le meilleur ou pour le pire, on peut dès lors considérer que l’école n’a pas encore joué son rôle de sélection des œuvres supposément légitimes, le choix des enseignant·e·s se repliant sur la bibliothèque intérieure correspondant à leurs lectures privées liées à l’enfance et à l’adolescence8 (donc souvent liées à des œuvres populaires) ou sur quelques succès critiques validés par des prix ou des récompenses, avec le fameux Pulitzer pour Art Spiegelman, bien sûr, mais aussi le prix du jury du Festival de Cannes pour l’adaptation cinématographique de l’œuvre de Marjane Satrapi. On peut donc anticiper sur cette sélection en considérant la possibilité qu’elle se calque sur une légitimité dont elle emprunte les caractéristiques sociologiques à la littérature, sans tenir compte des spécificités médiatiques du champ de production de la bande dessinée.
Par ailleurs, si le statut culturel acquis par certaines œuvres font de la bande dessinée un objet certes mal identifié mais au moins potentiellement enseignable, il ne faut pas négliger les problèmes inhérents à la disciplination des gestes de lecture spécifiques, aussi bien du côté de l’enseignant que de celui des élèves9, ce qui passe par l’intégration de pratiques compatibles avec la conception que l’on peut se faire d’un enseignement de la littérature, mais aussi par l’établissement de procédures nouvelles, adossées aux caractéristiques sémiotiques du support. Outre le problème du rattachement des œuvres à un média populaire, qui complexifie le cadrage interprétatif des enseignant·e·s et des apprenant·e·s, le mélange de textes et d’images dessinées pose ainsi un problème qui se reflète dans les hésitations des plans d’étude: faut-il rattacher la bande dessinée à l’histoire de l’art ou à la classe de français? Comment traiter à la fois le style graphique des dessins, la composition de la case et celle de la planche, le découpage de l’action, les effets de cadrage, le contrastes des couleurs, tout en liant ces aspects au développement du récit, aux jeux sur la focalisation et le point de vue, aux dialogues et aux récitatifs, alors que la formation initiale des enseignant·e·s de français ne les a généralement guère préparé·e·s à traiter ces aspects simultanément.
Ainsi que l’ont montré Marianne Blanchard et Hélène Raux (2019), le chemin est encore long pour former les enseignant·e·s à des gestes interprétatifs susceptibles d’intégrer ces différentes dimensions, sans pour autant tomber dans un répertoire de notions techniques déconnectées des enjeux esthétiques ou éthiques soulevés par la lecture de l’œuvre, et sans se méprendre sur la complexité inhérente à un médium à la fois textuel et graphique. L’objectif de ce numéro est précisément de contribuer à développer des pistes de réflexions relatives à l’ensemble de ces aspects, d’abord en lien avec l’histoire du médium et de sa scolarisation, puis orienté sur différentes propositions didactiques et observations en classe.
La première partie, qui s’inscrit dans une perspective historique, s’ouvre sur un article de Nicolas Rouvière exposant la situation actuelle de la bande dessinée, qui est entrée depuis une dizaine d’années dans une phase que l’on peut définir comme celle d’une «post-légitimation». Si cette nouvelle manière d’envisager le média devrait lui ouvrir les portes de l’enseignement aux différents niveaux de la scolarité, elle pousse aussi Rouvière à dresser le constat d’un déficit de «théorisation didactique éclairant les enjeux et les modalités de son étude en classe», ce qui souligne l’importance de renforcer la recherche dans ce domaine. Cette théorisation apparait d’autant plus importante que les matérialisations médiatiques des récits graphiques ne cessent de se complexifier dans la culture numérique contemporaine, brouillant les frontières entre bande dessinée, jeu vidéo, dessin animé ou série télévisée.
L’article suivant offre un survol historique beaucoup plus large des relations tumultueuses entre la bande dessinée et les institutions scolaires, en suivant la piste des instructions officielles en France de manière à mettre en lumière, depuis les années 1960, la place réservée aux récits graphiques dans les programmes scolaires. Sophie Béguin illustre cette trajectoire scolaire qui, en effet, semble en partie déconnectée des enjeux entourant la légitimation culturelle du médium. Les hésitations portent non seulement sur les titres ou le nombre d’œuvres préconisés par les instructions officielles, mais également sur le rattachement disciplinaire de l’étude de la bande dessinée. Enfin, si la scolarisation du médium ressemble à une série de rendez-vous manqués, Béguin montre que c’est aussi en raison d’une certaine méfiance émanant des milieux de la bande dessinée, certain·e·s de ses représentant·e·s craignant les effets de la scolarisation d’un objet qu’ils·elles préfèrent ranger dans le domaine de la contre-culture et de la subversion.
Le troisième article de cette partie historique envisage la place de la bande dessinée vis-à-vis de l’enseignement du français langue étrangère, à travers l’analyse d’un corpus de manuels publiés entre 1919 et 2020. Son auteure, Anick Giroud, soulève un intéressant paradoxe: alors que le potentiel didactique des images narratives pour l’enseignement des langues est très tôt reconnu, avec l’émergence des méthodes directes au début du XXe siècle, puis, de manière encore plus marquée, avec l’éclosion des méthodes audio-visuelles, communicatives et actionnelles, la place de la bande dessinée en tant que document authentique est restée très modeste. La grande majorité des récits graphiques insérés dans les manuels demeure donc le travail d’illustrateurs·trices, produisant des objets sur mesure, adaptés aux objectifs de la leçon, mais dépourvus de valeur culturelle. Face à ces documents forgés, les modalités d’une lecture littéraire apparaissent impossibles, et la valeur culturelle du médium singulièrement diminuée.
La partie suivante réunit trois propositions didactiques adossées à des œuvres dont la réputation littéraire est fortement établie, du Maus d’Art Spiegelman au Persepolis de Marjane Satrapi, en passant par l’incontournable Fun Home d’Alison Bechdel. Si le choix de ces œuvres oriente naturellement l’exploitation didactique vers un horizon esthétique et culturel, les trois articles mettent également en évidence les spécificités d’une littérature dessinée et montrent comment exploiter cette dimension graphique.
La proposition de Violeta Mitrovic articule la lecture de trois «mémoires graphiques» (Fun Home, Persepolis et Wonderland de Tirabosco) dans la perspective de leur enseignement au post-obligatoire. En insistant sur la richesse et l’épaisseur des possibilités interprétatives de ces œuvres, elle se sert de leur caractère profondément multimodal pour convoquer la possibilité effective d’une lecture littéraire, au sens élargi de ce terme, dans lequel elle rassemble et interroge les notions de participation et de distanciation, de littératie, de lectures «ordinaire» et «savante», sans oublier de faire valoir la spécificité du médium comme vecteur d’acquisition de compétences nouvelles.
Gaspard Turin, dans une contribution portant sur la didactisation de Maus, propose une approche pragmatique face à une œuvre à la fortune critique si importante qu’elle pourrait en paraître hors de portée pour de jeunes lecteurs. En cherchant à rendre à l’œuvre une forme de simplicité, induite par le traitement zoomorphique de ses personnages, il n’en oublie pas moins que cette simplicité ne sert qu’à dialoguer avec la complexité d’une œuvre grave et dont l’enjeu de lecture devient dès lors celui d’un questionnement à étages multiples. Faire lire Maus à des adolescent·e·s revient-il à les forcer dans un monde adulte? Ou plutôt à envisager un dialogue avec les modalités d’appréhension du monde propres à l’enfance?
Enfin Camille Schaer s’attache, elle aussi, à assigner à la lecture de la bande dessinée en classe des enjeux portant sur la littératie et sur les compétences qui lui sont associées. Elle choisit pour sa part d’insister sur les spécificités du médium par rapport à la littérature ordinairement enseignée à l’école, afin de faire reconnaître une «tension entre linéarité et mise en réseau des informations». Cette mise en réseau l’incite à porter un regard neuf sur le livre en tant qu’objet, comme en témoigne son attention au paratexte. Il s’agit enfin, pour elle, par le biais des œuvres sélectionnées (Persepolis d’une part et Les Coquelicots d’Irak, de Findakly et Trondheim, de l’autre) d’ouvrir les élèves aux subtilités de l’autobiographie dessinée.
La dernière partie envisage l’enseignement de la bande dessinée sous un angle plus empirique, informé par des observations en classe, de sorte que les articles éclairent les vertus, mais aussi les obstacles inhérents à une lecture littéraire de la bande dessinée dans différents degrés de la scolarité.
Dans sa contribution, Hélène Raux interroge le «présupposé de facilité» qui accompagne le traitement scolaire de la bande dessinée pour montrer que la lisibilité du médium ne va pas de soi et qu’il doit s’accompagner d’un étayage en classe, fondé sur l’enseignement des codes propres à la lecture des récits graphiques. Des exemples de terrain suggèrent que la compréhension des logiques présidant à l’enchaînement des cases n’a rien d’un acquis pour les élèves observés, et que le déficit de compréhension ou de reformulation se présente plus volontiers dans le cadre de la lecture des images que de celle du texte. L’accent est mis, en conclusion, sur la nécessité de renforcer des approches didactiques orientées sur ces aspects et de réorienter le regard des élèves face à un médium souvent considéré par eux, a priori, comme destiné aux enfants.
L’article de Jean-François Boutin et Virginie Martel s’intéresse quant à lui aux modalités de la lecture de bandes dessinées historiques, en suivant treize parcours de lecture d’élèves du secondaire et du primaire. Les auteurs s’attachent à creuser en particulier la question des rapports entre le passé et sa reconfiguration par les récits graphiques, tout en tenant compte de la multimodalité du support. Pour poser les bases d’une lecture dialectique, permettant de rendre compte de «l’historisation de la fiction et [de] la fictionnalisation de l’histoire» (Gallego 2015: 5), les auteur·e·s préconisent de porter l’attention des lecteurs·trices sur la dimension multimodale et les stéréotypes propres au champ de la bande dessinée.
Si la bande dessinée demande encore à être enseignée, elle demande aussi, plus vivement peut-être, à être didactisée. Mais au-delà de ces questions, elle demande aussi à être interrogée dans ses rapports à l’institution scolaire et aux rapports que cette institution entretient avec ce «monde qui avance», ou qui semble parfois stagner, voire reculer… et dont, malgré ses richesses, la bande dessinée n’est encore qu’une manifestation marginale. Il suffit de courir le risque d’ouvrir ce champ culturel à des élèves pour réaliser à quel point son objet reste «non identifié», ou indexé à des codes culturels, économiques et sociétaux auxquels la bande dessinée «comme littérature» peine encore à se confronter. Tout reste à faire donc, dans ce champ. Les travaux réunis ici cherchent à en proposer une exploration que l’on espère enthousiasmante, mais ils ne pourront en aucun cas se substituer aux pratiques d’enseignement, informées ou improvisées, que nous engageons nos lecteurs·trices à tenter, à poursuivre et à partager.
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URL: https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2019-4-page-79.htm
Pour citer l'article
Raphaël Baroni & Gaspard Turin, "Introduction n°4 - Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature", Transpositio, n°4 Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature, 2021http://www.transpositio.org/articles/view/introduction-n-4-enseigner-la-bande-dessinee-comme-de-la-litterature
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